L’affaire CheckSpy


Le 4 avril 2004, un message de Serge P. est autorisé par un modérateur dans le newsgroup fr.comp.securite : « voilà un petit site comme on les aime:  http://www.checkspy.com/fr/index.htm checkspy se charge en effet de retrouver pour vous les petits indesirables qui vous surveillent lorsque vous êtes connectés sur le net. complément idéal d’un antivirus, il s’offre même le luxe de trouver l’introuvable espion qui continus à envoyer vos informations personelles sur la toile. il est possible de scanner gratuitement votre pc !!! vous voyez ensuite, un rapport generalement surprenant... [...] ps: il faudra pourtant désactiver votre firewall avant de pouvoir acceder au petit bijoux :serviteur: donnez votre avis après avoir essayé et n’hezitez pas a le plebiciter.... ». Plusieurs choses choquent les lecteurs du newsgroup. Tout d’abord, Serge P. ne dit pas qu’il dirige la société Checkflow, éditrice du fameux antispyware. Le témoignage (plein de fautes d’orthographe) de l’utilisateur satisfait relève en fait de la publicité (d’ailleurs, deux autres messages du même genre ont été bloqués par la modération). Mais surtout le conseil donné à la fin est une hérésie : en effet, une machine sous Windows NT/2000/XP sans firewall (pare-feu) peut être contaminée dans les quelques secondes qui suivent par des vers comme Blaster, Sasser ou SQLSlammer ! Et si les Windows 9x/Me ne sont pas concernés par ces menaces, ils sont néanmoins sensibles à des attaques contre Netbios. Pis, CheckSpy lui-même pourrait lui-même être le vecteur d’un adware ou d’une attaque plus sérieuse, car il s’agit d’un ActiveX signé (ce qui lui donne des droits en lecture et en écriture sur le disque dur de l’utilisateur) et que, faute de pare-feu, il permet au serveur distant d’installer ce qu’il veut. Cédric Blancher, un des modérateurs, cherche à savoir ce qu’il en est vraiment et rassure : « Ce logiciel (CheckSpy), manifestement, n’a pas d’action malicieuse sur le système ».

Analyse de l’antispyware

Au passage, il nous livre le résultat d’un petit test du logiciel antispyware : « CheckSpy me trouve 92 saloperies sur mon disque. Maintenant si je regarde de plus près, qu’est-ce que je trouve. Premier spyware, le numéro d’ID du MediaPlayer. [...] Ensuite, 91 cookies. [...] Et en les regardant de plus près, je trouve effectivement des cookies de pub, classique, mais aussi des choses comme Allocine, NetStumbler, Google ou encore Yahoo. Bref, que d’horribles méchantes bestioles. Par curiosité, je lance AdAware pour comparer. Ce dernier me trouve 39 objets, dont 7 clé de registre associées à deux spywares connus, un répertoire avec ses 6 fichiers dedans pour l’installation de l’un des deux. Et évidemment 25 cookies qui euh me semble franchement plus pertinent en terme de recherche de spyware. Et lui au moins, il me les nettoie. Donc en gros, il me trouve un vrai spyware installer que l’ActiveX n’a pas trouvé... ».
Un autre internaute, Nicolas Grégoire derrière le pseudonyme Nicob, cherche à comprendre pourquoi il faut désactiver le pare-feu : « J’ai jeté un oeil au programme (je ne l’ai pas lancé, donc j’ai peut-être tout faux !) et j’ai peut-être une explication. En fait, on télécharge un ".cab" qui contient FlowScan.inf (un fichier de conf) et FlowScan.ocx (l’ActiveX). Cet ActiveX appelle des fonctions relatives au téléchargement de fichiers depuis l’Internet (d’où la nécessaire désactivation du pare-feu ?) : InternetReadFile, HttpQueryInfoA, InternetOpenUrlA, InternetOpenA. On trouve entre autres cette URL dans l’ActiveX : http://www.checkspy.com/kbase.xml. Si on télécharge le fichier, on constate que c’est en fait un fichier ZIP protégé par mot de passe, le mot de passe étant bien évidemment embarqué dans l’ActiveX ("xzdiablo700"). Donc, on peut extraire le fichier XML, qui contient les infos sur les 101 spywares connus par le logiciel ». L’analyse est très intéressante.

Dérapage

Malheureusement, sous couvert de cette analyse dans un but de sécurité, Nicob va commettre ce qui ressemble fort à une boulette. En effet, il met une copie du fichier kbase de Checkspy sur son site personnel et donne le lien dans le newsgroup. Ni une, ni deux, Serge P. réagit : « Monsieur Blancher, je constate avec effarement que le forum que vous régulez comporte un message de Mr Nicob qui indique très clairement qu’il a décompilé notre logiciel CheckSpy, extrait le mot de passe et publié sur le site http://nicob.net/mirrors/kbase notre base de donnée de signatures de parasites espions. Ces faits sont d’une ILLEGALITE TOTALE et TRES FORTEMENT répréhensible tant au plan Pénal qu’au plan Civil. La condamnation maximale est de 3 ans de prison + 500 000 euro d’amendes. Par conséquent, je vous demande de retirer immédiatement du forum les messages indiquant le lien http://nicob.net/mirrors/kbase et de prévenir les utilisateurs de votre forum qu’une procédure pénal et civile sera lancée d’ici 48 heures contre le propriétaire du site nicob.net ».
Cédric Blancher s’exécute : « Conformément à la demande de Serge P., et au regard de la législation en vigueur, les articles incriminés ont été annulés » (mais les ordres d’annulation n’étant pas pris en compte par tous les serveurs qui dupliquent les newsgroups, les messages concernés figurent encore dans les mémoires de certains).
En réalité, inutile de décompiler, il suffit d’ouvrir les fichiers avec un éditeur ASCII pour lire en clair les noms de fichiers, les appels de fonctions, etc. On pourrait arriver au même résultat en analysant les données qui circulent sur le réseau entre le poste de l’utilisateur et le serveur de la société. Il n’y a donc sans doute rien de répréhensible. Par contre, le fait que Nicob diffuse sur son site le fichier des signatures de CheckSpy en intégralité est plus sujet à caution.

Tous contre un !

Antivirus ou antispyware, le plus gros travail des éditeurs est d’analyser chaque nouvelle menace informatique afin de trouver une signature, qui permette de l’identifier en générant le minimum de fausses alertes, pour l’intégrer ensuite à une base de donnée maison. Il est évident qu’une société verrait d’un mauvais œil qu’un tiers diffuse à sa place le fruit de son travail, la privant ainsi de ses revenus. Nicob se trouvant en mauvaise posture, plusieurs internautes surgissent alors pour s’en prendre à Serge P.. Des personnes qu’on avait déjà vues pour la plupart agir de la même façon contre la société Tegam dans une affaire semblable (cette société avait porté plainte en contrefaçon de son logiciel Viguard contre un internaute qui n’avait pas respecté les règles morales d’une révélation responsable de faille de sécurité).
Parmi les virulents opposants au dirigeant de Checkflow, Stéphane Catteau, un autre modérateur de fr.comp.securite, qui déclare douter fort que « Monsieur P. ou sa société puisse se prévaloir d’une réelle propriété (au titre de l’article L 341-1 du CPI) concernant cette base de données ». Pourtant l’article L 341-1 du Code de la Propriété Intellectuelle stipule que « le producteur d’une base de données, entendu comme la personne qui prend l’initiative et le risque des investissements correspondants, bénéficie d’une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel ». Et l’article L. 342-1 ajoute que « le producteur de bases de données a le droit d’interdire : [...] la réutilisation, par la mise à la disposition du public de la totalité ou d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de la base, quelle qu’en soit la forme ».
Stéphane Catteau tente une autre piste : « c’est à la société de protéger ses intérêts, ce qui n’est clairement pas le cas ici puisque n’importe qui peut avoir accès en clair à la base de données, sans avoir eu besoin de faire une copie de la version publiée par Nicob ». Argument tout aussi irrecevable : la plupart des livres qui sortent ne sont pas protégés contre la copie, ce n’est pas pour autant que chacun peut les diffuser librement sur Internet.

Affaire classée

A en croire le petit groupe, Nicob n’aurait donc rien à se reprocher. Pourtant il retirera rapidement le fichier incriminé de son site personnel. Et, au final, contrairement à ce qu’il avait annoncé, Serge P. ne portera pas plainte. Dans la mesure où il n’a pas souhaité répondre aux questions à ce sujet, nous ne pouvons que faire des suppositions sur les raisons de cette marche arrière.
Peut être manquait-il de temps. Peut être ne voulait-il pas vivre le même enfer que Tegam : l’autre société, à qui la justice donnera raison finalement dans son procès en contrefaçon, était devenue la cible d’un acharnement quotidien du petit groupe d’internautes dans une multitude de forums, de blogs et de sites Internet, au point de fermer ses portes en mai 2005. Quoiqu’il en soit, la société Checkflow sera mise en liquidation en juin 2006.

Pour anecdote, Nicob travaillait au moment des faits pour Exaprobe, une société partenaire entre autre de Network Associates et Computer Associates, des éditeurs proposant des antispywares.

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- Article modifié le 26/02/2007 suite à des remarques pertinentes de Cédric Blancher.
- Article modifié le 10/04/2007 suite au décès de M. Serge P.. Toutes mes condoléances à sa famille.