L’achat
d’un logiciel ne peut s’assimiler à l’achat d’un kilo de tomates
ou d’un stylo. Si dans ces derniers cas, vous devenez
propriétaire du produit, en informatique, vous n’êtes
investi que d’un droit d’utilisation. Sa portée est
définie dans un contrat particulier, la licence, souvent
rédigée en termes barbares. Les droits du consommateur se
retrouvent alors trop souvent enfermés dans des clauses aussi
illisibles qu’injustes.
Garanties, copie, modification, exécution (etc.)
tous ces points y sont généralement abordés. Sur
cette base, deux grandes familles de licence sont à
dénombrer: la licence propriétaire et la licence libre.
Basée sur l’idée d’une création
coopérative, la licence libre est celle qui «
fait référence à la
liberté pour les utilisateurs d’exécuter, de copier, de
distribuer, d’étudier, de modifier et d’améliorer le
logiciel » (
Gnu.org).
Compte tenu de ces
facultés, le code source d’un programme sous licence libre est
nécessairement ouvert. Au contraire, les droits des utilisateurs
sont les plus restreints dans le cadre d’une licence
propriétaire, puisque les copies sont fortement limitées,
l’accès aux sources est généralement impossible ou
filtré, tout comme l’ingénierie inversée, sauf
rares hypothèses légales. Ainsi, face à un code
source surprotégé, mais perclus de failles, l’utilisateur
devra le plus souvent attendre gentiment que l’éditeur veuille
bien les colmater.
Les vices sans la vertu
Or, avec la multiplication des bogues, quels sont justement les droits
des consommateurs? Aucun, si on prend à la lettre n’importe
quelle licence! Une clause élude ou restreint
systématiquement la responsabilité de l’auteur et de
l’éditeur en cas de vices cachés ou dommages
causés par le logiciel. Citons le CLUF (contrat de licence
d’utilisateur final) de Microsoft
Windows
XP dans son
Édition
familiale. Il annonce, au cas où vous auriez un doute,
que «
vous reconnaissez
que le Produit n’est pas exempt d’erreurs ». Une
réserve qui prend une bien drôle de saveur à une
époque où l’on interdit aux journaux de parler de
failles. Pour les versions OEM, c’est-à-dire livrées,
préinstallées avec un ordinateur, Microsoft fait en tout
cas peser une petite garantie sur le seul dos de votre
vendeur-fournisseur. Il doit garantir que le «
fonctionnement du logiciel sera conforme,
pour l’essentiel [
sic!],
à la description qui
figure dans la documentation écrite [...]
pendant une durée de
quatre-vingt-dix jours ». En clair, après
trois mois d’utilisation, attendez-vous à des surprises… et il
ne faudra pas vous plaindre puisque Microsoft vous aura
prévenu on ne peut plus explicitement!
Et d’ailleurs, puisque «
vous
reconnaissez que le Produit n’est pas exempt d’erreurs »,
cela altère quelque peu l’étendue des
responsabilités! À ce titre, sachez que les dommages
indirects, ceux causés à autre chose que le logiciel,
sont systématiquement ignorés! Suite à un plantage
de
Windows XP, vous perdez
votre comptabilité et du coup, vous enregistrez un retard
considérable dans les livraisons. Vos clients,
mécontents, annulent en série leurs commandes et passent
tous à la concurrence, etc. Tant pis ! Dans cette spirale,
seule Microsoft Canada s’engage à réparer quelque
chose... mais le dédommagement est limité soit au prix du
logiciel, soit, lorsque celui-ci est inconnu (OEM), à un montant
«
équivalent
à 5 dollars US en devise étrangère ».
C’est plus qu’assez pour acheter un CD-Rom vierge sur lequel vous
graverez
Linux!
Légal, pas légal?
En droit français, les vices cachés sont des
défauts inhérents à « la chose
vendue », qui rendent celle-ci «
impropre à l’usage [...]
ou diminue tellement cet usage que
l’acheteur ne l’aurait pas acquise ou n’en aurait donné qu’un
moindre prix s’il les avait connus » (article 1641 du
Code civil). Démontrés, ils ouvrent nécessairement
droit à remboursement, parfois intégral. Ce
schéma, aussi attractif soit-il, ne concerne cependant que le
secteur de la vente. Or, comme expliqué, lorsque vous
« achetez » un traitement de texte ou un
système d’exploitation, vous devenez certes propriétaire
du support (CD-Rom, boîte, etc.), mais non du logiciel qui est
propriété des auteurs (Microsoft, Adobe, Apple, etc.).
Microsoft et consort se gardent bien de le rappeler clairement: la
directive européenne sur les produits défectueux fait
peser, sur le professionnel, la responsabilité des dommages
causés par un «
défaut
du produit » (articles 1386-6 et suivants du code
civil). Or, comme l’a confirmé la Commission européenne,
la généralité des termes des textes fait qu’ils
concernent aussi les logiciels. Et qu’importe ici que le professionnel
«
soit ou non lié
par un contrat avec la victime ». Le droit à
réparation est accordé aussi bien aux acquéreurs,
sous-acquéreurs qu’aux tiers pour tous les dommages directs
affectant «
la
sécurité physique des personnes ou des biens ».
Sont visés ici les cas les plus graves, mais la garantie
s’étend sur une période de 10 années, ce qui est
un peu plus long que les quatre-vingt-dix jours du CLUF Microsoft! Un
éditeur pourra toujours à éluder sa
responsabilité notamment si, «
en l’état des connaissances
techniques lors de la mise sur le marché », il
ne pouvait déceler l’existence du problème. Mais c’est
à lui de démontrer cela, alors souhaitons-lui bon courage!
L’abus des clauses
C’est surtout dans le code de la consommation qu’il faut se pencher
pour forcer un éditeur à assumer d’éventuels
bogues. L’article L.132-1 dispose que «
dans les contrats conclus entre
professionnels et non professionnels ou consommateurs, sont abusives
les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au
détriment du non professionnel ou du consommateur, un
déséquilibre significatif ». La loi
considère alors ces clauses, pourtant nombreuses, comme
inexistantes. En guise d’illustration, la Commission chargée
d’établir la liste de ces clauses abusives nous donne quelques
exemples. Elle recommande ainsi d’éradiquer les clauses qui
«
exonérer le
professionnel de toute responsabilité du fait des
conséquences dommageables de l’utilisation des logiciels qu’il
commercialise » ou qui l’exonère «
de son obligation de conseil ».
Revente interdite!
Selon le principe bien connu «
une licence achetée, un logiciel
installé », lorsque vous vous
débarrassez d’un logiciel acheté en boîte, vous
devez impérativement le désinstaller (sauf bien entendu
le cas des licences libres où copie et partage sont
encouragés). Les licences dites OEM («
Original Equipment Manufacturer »)
obéissent, elles, à un régime plus
sévère. Moins chères à l’achat, leurs
conditions d’utilisation sont drastiques. Par exemple, chez Microsoft,
on ne peut acheter une telle licence auprès d’un professionnel
sans acheter en même temps «
un composant matériel autre qu’un
périphérique ». On pense bien entendu
à un ordinateur complet, mais ce pourra être encore
«
une carte graphique, une
carte vidéo, un disque dur… », note la
multinationale. La liste n’étant pas limitative, une barrette
mémoire, une carte son, voire pourquoi pas une baie IDE pourra
faire l’affaire! Point important, si vous souhaitez
« revendre » votre version OEM, il vous faudra
obligatoirement joindre le matériel initial, accompagné
des documents afférents. Cela signifie encore que si votre PC
venait à tomber en panne, vous ne pourrez officiellement vous
débarrasser de votre
Windows encombrant.
Ces restrictions sont plus que douteuses. Elles engendrent une forme de
vente par lot et surtout, l’utilisateur final n’est informé de
ce régime qu’après coup, jamais avant achat (voir dossier
Virus 25).
Le comble
étant les licences qui vont jusqu’à interdire toute
revente d’occasion! Pour autant, en elles-mêmes, ces restrictions
demeurent malgré tout légales en l’état de notre
législation. Rappelons que l’utilisateur n’a qu’un droit d’usage
et la règle veut tout ce que l’éditeur ou l’auteur n’a
pas expressément permis est interdit par nature, sauf exception
légale. La seule exception en ce secteur est celle de l’article
1226 3° du code de la propriété intellectuelle. Pour
cause de Marché Unique, il permet à un distributeur de
s’approvisionner en Europe et revendre en France des licences sans
signer d’accord particulier avec l’éditeur. Mais cela concerne
ici uniquement le régime de la commercialisation, non celui de
l’utilisation des logiciels. Dans ces conditions, la seule issue pour
l’usager est de « voter avec ses pieds » et de
préférer des licences moins contraignantes.
Microsoft se bride !
Dans ses contrats OEM, Microsoft impose aux constructeurs une clause
très confortable. Ces sociétés « s’interdisent d’engager des poursuites
contre Microsoft s’ils découvrent que cette dernière
viole leurs droits de propriété intellectuelle »
(droits d’auteur, brevets, etc.). Soupçonnée de pratiques
déloyales par la commission de la concurrence nippone, Redmond a
décidé de la supprimer dans ce pays. L’Europe et les
États-Unis ont, eux, jugé cette clause parfaitement
conforme.
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Office gratuit !
Le saviez-vous ? La licence Microsoft
Office 2003 autorise une installation de la suite sur trois
ordinateurs à la maison. Pour en bénéficier, il
suffit d’être étudiant ou élève même
à domicile, enseignant ou, enfin, membre d’un foyer
répondant à ces critères. Ce qui fait beaucoup de
monde éligible. Vous ne souhaitez ni mentir à Microsoft,
ni reprendre vos études, mais préférez une suite
bureautique fiable, open source et librement copiable ? Jetez-vous
plutôt sur Open Office (Openoffice.org) !
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Y en a MAR !
Plutôt que de jeter à la benne des éléments
informatiques, des entreprises, associations et collectivités
optent pour le reconditionnement et le don de PC. Malheureusement, la
licence n’est souvent plus disponible. Microsoft a donc inventé
la MAR ou Microsoft Authorised Refurbisher, une licence Windows 98 ou 2000 vendue 5 €.. Un bon
moyen pour grappiller quelques deniers supplémentaires puisque
le plus souvent, une licence sera vendue deux fois : d’abord en
OEM puis sous cette forme ! En tout cas, les pays du tiers monde,
fréquents bénéficiaires de ces dons, ne seront
plus de vilains pirates menaçant les finances de
l’éditeur. Ouf !
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