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Paru dans Le Virus Informatique n°28
2016-05-20 00:00
CR

Des jeux mobiles et PC pour les aveugles et malvoyants



En France, selon les statistiques de 2008 (source INSEE), le nombre de malvoyants (profonds et moyens) dépasse 1,2 million, pour 65 000 aveugles (mais on aurait pu s'intéresser à d'autres pays). L'expression « jeu vidéo » véhicule l'idée de vision. Est-ce que cette activité ludique est interdite à ce vaste public souffrant de handicap ? En fait, des jeux mobiles, PC et même une console leur sont destinés.

Sur ordinateurs et tablettes/téléphones, on distingue les jeux développés en ciblant le public malvoyant et ceux pour tous qui peuvent être utilisés grâce aux outils de lecture vocale fournis dans les systèmes d'exploitation ou en option. L'auteur de Jeuaccess.org partage son expérience dans les deux catégories.

Des centaines de jeux utilisables
Un studio de jeux vidéo traditionnels, Ticonblu, a décidé d'ajouter un mode pour malvoyants à certains de ses titres comme les jeux d'aventure L'Inquisiteur ou Black Viper - Sophia's Fate. Conçu avec l'aide d'Universal Access, ce mode audio (anglais, italien, voire latin !) est présent sur PC, Mac, iPhone/iPad et Android. Attention, toutes les éditions commercialisées ne le proposent pas ! Le studio italien a également développé des jeux spécifiques pour les malvoyants comme Space Encounter (shoot'em up), Audio Rally Racing (courses) ou She Noire (objets cachés) par exemple. Certains de ces jeux sont jouables en espagnol en sus de l'anglais et de l'italien.
Le jeu gratuit Where's my rubber ducky d'Accessibility Foundation sur iPad. Équipé d'un casque, on essaye de repérer le zombie qui veut nous tuer et pivotant sur soi-même (GPS et compas de l'appareil sont utilisés). Le bas de l'écran permet de tirer, le haut de changer d'arme (pistolet ou machette). L'application est en anglais. Dans le même genre sur l'App Store, il existe également SixthSense : All new 3D sound horror shooting game de TeamHN, lui aussi gratuit, avec plus de zombies et d'armes.
Sur iOS, Zany Touch de Creative Logic Entertainment coûte 0,99 €. Il faut écouter les instructions (en anglais) et rapidement réaliser ce qui est demandé : toucher, glisser vers le haut ou vers le bas, balayez vers la gauche, secouer, pincer, etc. Le jeu propose une centaine de défis et trois niveaux de difficulté. Les scores peuvent être postés sur Twitter et Facebook. Aussi sur iOS et aussi à 0,99 €, HearStrike de MDV Ingegneria Elettronica est un jeu de tir sur des cibles de différentes tailles où on est guidé au son. Bien évidemment, des jeux similaires existent également sur Android.

Du financement communautaire
Après financement communautaire, Dowino a lancé A Blind Legend (téléchargement gratuit, avec option d'achat) pour iPhone/iPad et Android, présenté comme le « premier jeu d'action-aventure sur mobile sans images, où l’ouïe remplace les yeux grâce à la technologie du son 3D binaural ». Premier du genre, vraiment ? Dans un monde médiéval fantastique, les joueurs utilisent téléphones ou tablettes comme un joystick pour progresser.
Une autre récente initiative originale mérite d'être signalée : un financement communautaire a permis de réunir la somme nécessaire pour imprimer en 3D une carte en braille pour le jeu de rôle en ligne Dragonium accessible aux aveugles.
Dans le registre des réalisations d'amateurs, on peut retenir SoundRTS, un jeu de stratégie en temps réel sonore issu du développement de SoundMUD, un jeu d'action/aventure inachevé inspiré de Diablo.

Participez à la création !
Titulaire d'un doctorat en informatique après avoir suivi des études en psychologie, Thomas Gaudy est aujourd'hui game designer spécialisé en ergonomie des jeux vidéo. C'est l'un des auteurs de jeux vidéo adaptés les plus actifs (la longue liste de ses créations est disponible sur sa page Web dédiée) : jeux d'aide à l'apprentissage du clavier, jeu d'aide à l'apprentissage du braille par le son, jeux de labyrinthe, morpion, jeu d'aide à l'apprentissage des réseaux de transport, jeux sonores expérimentaux... Beaucoup de titres sont gratuits, quelques-uns sont payants. Nous vous proposons un entretien avec lui page suivante. Il organise notamment des ateliers pour créer de nouveaux jeux.
Bien sûr, les joueurs ne souffrant d'aucun handicap peuvent également tenter l'expérience proposée. Cet article n'a pas pour prétention de présenter tous les jeux adaptés aux malvoyants, la liste est trop longue. Finissons en indiquant que l'association Paul Guinot propose à ce public des formations de développeurs d'applications informatiques.



Une console spécialisée
La console Odimo a été lancée en 2010. Elle utilise des cartouches proposant des mots fléchés, des mots croisés,des quizz, des grilles de Sudoku, des anagrammes, des jeux de pendu, de bataille navale, de bataille de cartes, de Master Code (l'équivalent du Master Mind) ou du Sim0 (où il faut reproduire une suite de chiffres ou de sons façon Simon). La console fonctionne grâce à de la synthèse et de la reconnaissance vocale, sans apprentissage pour cette dernière. L'interface est composée de quatre boutons, plus un pour l'aide. Odimo coûte 230 € et ses cartouches 32 € chacune. Les jeux existent en français ainsi qu'en anglais.



Interview
Thomas Gaudy est l'auteur d'une thèse Étude et développements de jeux vidéo sonores accessibles aux personnes aveugles. Animateur d'ateliers, il a à son actif de très nombreux jeux vidéo adaptés à ce public, des jeux dits « accessibles ». Il a accepté de partager sa passion lors d'une session de question/réponses.

De quand datent les premiers jeux pour malvoyants ?
Je ne suis pas certain d'à quand remontent les premiers jeux accessibles, mais leurs racines proviennent des jeux textuels comme Zork (1980) car leur nature textuelle allait les rendre compatibles aux premiers lecteurs d'écran conçu pour les personnes malvoyantes plus tard dans cette décennie. À cette époque, les joueurs voyants et malvoyants partageaient une culture vidéoludique commune, ce qui est beaucoup moins le cas actuellement. Par contre, on ne pouvait pas vraiment dire que ces jeux touchaient très largement le grand public : il y avait d'autres problèmes d'accessibilité en raison de l'intérêt moindre que ces jeux soulevaient dans la population.
Par la suite, quand les jeux d'aventure se sont embellis d'une couche graphique venant remplacer le texte, ils ont perdu cette accessibilité, mais cette période a permis de susciter des vocations et des programmeurs aveugles se sont mis à concevoir leurs propres jeux. Les plus vieux que je connaisse personnellement sont ceux de Jim Kitchen (page personnelle anciennement sur kitchensinc.net). Ce pionnier nous a quittés l'année dernière, mais il a laissé derrière lui une quantité impressionnante d'expérimentations.
Pour avoir une vision plus précise de l'évolution de cette seconde vague de jeux sonores, vous pouvez consulter les archives du magazine Audissey, consacré aux jeux sonores accessibles.
La troisième grande vague de jeux sonores, nous baignons en plein dedans actuellement, est celle des jeux mobiles, rendus accessibles par les systèmes de lecteurs d'écran intégré, comme Voice Over, sur iPhone. Ces lecteurs d'écran permettent aux jeux sur mobiles qui ont leurs boutons correctement labellisés par des descriptifs verbaux de s'ouvrir aux non-voyants.
Pour avoir une vision des jeux actuellement disponibles, je vous renvoie à l'annuaire que nous présentons sur le site Web de notre association, Ludociels pour tous.
Je crois que nous avons recensé un peu plus de 500 références. Paradoxalement, ce nombre n'est pas franchement en augmentation. J'avais déjà dressé un inventaire il y a 10 ans à l'occasion d'une thèse sur ce sujet et je recensais le même nombre de jeux. Depuis, les deux tiers de ces anciennes références ont disparu : les compagnies qui les ont produits ont fermé et les archives se sont égarées ou ont perdu leur compatibilité avec nos ordinateurs actuels. Côté francophones, les parutions récentes sont surveillées sur la liste de discussion de Jeuaccess.org. Du côté anglophone, vous aurez des références plus nombreuses sur audiogames.net/.

Pourquoi vous intéressez-vous à ce sujet ?
Parce que le potentiel pour créer de nouvelles choses est énorme, parce que les besoins sont plus forts et les nouveautés moins nombreuses. Du côté des jeux vidéo, les joueurs sans handicap sont saturés de nouveautés, et leurs attentes deviennent difficiles à satisfaire. Dans le domaine des jeux accessibles, j'ai le sentiment que notre travail a un impact humain plus fort et plus gratifiant.

Quels sont les gameplays que proposent ces jeux ?
C'est encore assez basique, mais, à vrai dire, je manque de temps pour jouer aux dernières productions audio accessibles. Ce sont souvent d'autres joueurs qui m'en parlent.
Vous pouvez distinguer quelques grandes catégories de gameplay : les adaptations de jeux de société. À ce titre, les jeux réalisés par Quentin Cosendey sur son salon de jeux accessibles sont phénoménaux. Vous avez ensuite les fictions interactives, qui vont vous immerger dans une situation prenante essentiellement par une narration bien travaillée. Vous avez enfin des jeux d'action ou d'exploration, qui se rapprochent plus des sensations offertes par les bornes d'arcade, sans toujours parvenir à en présenter le principe de compréhension et de prise en main immédiate. C'est un problème récurrent des jeux audio : sans visuel, il est difficile de savoir où on met les pieds et comment on avance. En fait, au départ, on ne sait même pas si on est supposé pouvoir avancer ou faire autre chose.

De vos différentes réalisations, lesquelles sont les plus importantes et pourquoi ?
J'aime bien l'ensemble de mes réalisations sans en tirer toutefois une fierté gigantesque, car j'ai toujours l'impression que je n'ai pu qu'effleurer une thématique sans avoir pu trouver les conditions d'approfondir proprement les recherches associées. Mes premiers jeux faits dans le cadre de mon doctorat avec Ceciaa (avec le soutien de Gille Candotti et Jean-Luc Augaudy) et sous l'encadrement de mes directeurs de thèse Stéphane Natkin et Dominique Archambault proposaient des pistes pour l'exploration d'environnements de façon presque musicale plutôt que verbale.
Par la suite, je me suis un peu perdu dans des expérimentations stimulantes intellectuellement, mais pas forcément agréables à jouer. Par exemple, un collègue de thèse, Roland Ossmann, cherchait à l'époque à réaliser un tic-tac-toe avec un principe d'accessibilité universelle. Il y est parvenu en proposant un menu de paramétrage qui s'est révélé en lui-même plus difficile à rendre accessible que le jeu. Je lui ai présenté une autre approche, one switch audio tic-tac-toe, sans menu, qui se base sur l'écoute de signaux sonores. C'est une grosse prise de tête amusante sur un jeu plutôt inintéressant. Ma version n'est pas meilleure que celle de Roland : elle est plus immédiate (pas de menu), mais moins compréhensible (donc pas de jeu à moins que le jeu soit d'en comprendre les règles).
Minalex fut assez amusant aussi. C'est une commande réalisée par Olivier Gapenne et le laboratoire Costech de l'université de Compiègne. En gros, il s'agissait de faire un jeu ultra minimaliste exprimant une situation ultra complexe. Multijoueur et collaboratif, Minalex devait être jouable en réseau, basé sur l'usage d'une seule forme graphique, d'un seul bouton et d'un seul fichier sonore pour retranscrire la scène d'introduction du film Cube de Vincenzo Natali, qui abordait un processus de morcellement. J'ai raté l'aspect réseau, mais, pour le reste, je suis assez content du résultat même si aujourd'hui, j'aborderai le problème autrement. Évidemment, sans explication, le jeu donne quelque chose d'assez abstrait.
Nous avons lancé par la suite une série de jeux sérieux accessibles dont voici quelques exemples : un jeu d'aide à l'apprentissage des tables de multiplication réalisé avec Sami Touzni, un jeu d'aide à l'apprentissage du braille, un autre pour l'apprentissage des touches du clavier, un autre encore pour apprendre la configuration du métro de Montréal de façon ludique pour les personnes aveugles ne le connaissant pas et qui aimerait y faire un voyage. Celui-là, j'aimerais pouvoir l'étendre en incluant le réseau de nombreuses villes et permettre de voyager virtuellement sur une large zone géographique. Nous avons réalisé quelques variations de jeux de quizz accessibles.
Nous avons pendant des années cherché à développer ces projets en créant des partenariats avec les structures principales au Québec, comme l'INLB ou l'école Jacques Ouellette, mais, en l'absence d'intérêt, ces travaux se sont taris progressivement sans que nous les abandonnions complètement toutefois.
Nous réalisons actuellement beaucoup de jeux en atelier. Le principe est toujours le même : nous invitons des personnes à venir participer à l'élaboration d'un jeu vidéo : elles fournissent des idées, elles dessinent les niveaux, les personnages et les décors, conçoivent la musique et les bruitages. Nous les initions quand c'est possible à la programmation. Nous parlons avec elles des métiers des jeux vidéo, et de l'importance qu'il y a à s'approprier ce mass media, peu reconnu encore comme tel, de ne pas rester des consommateurs passifs (un comble pour un média interactif) d'un vecteur d'information exprimant trop souvent des recettes commerciales fascisantes passant par l'expression quasi exclusive de mises en scène d'agressions. Et puis, à la fin de ces ateliers. Quand tout le monde part, nous intégrons les travaux de chacun durant nos week-ends et nos nuits. Nous finalisons actuellement trois jeux conçus en ateliers, qui devraient sortir prochainement.

Quel est l'avenir du genre, selon vous ?
L'industrie du jeu vidéo continue à se développer. Les écoles de jeux se multiplient, de plus en plus d'étudiants sont en recherche de concepts innovants et s'intéressent à l'accessibilité. Les jeux sonores accessibles vont continuer à se développer et à évoluer. Par contre, nous perdons progressivement le contact avec les travaux précédents. La mémoire des jeux accessibles s'étiole. Nous devons aussi composer avec une forme d'inertie et d'apathie de la part de partenaires institutionnels. Du côté de Ludociels pour tous, dans le domaine de l'accessibilité visuelle, cette apathie nous a presque paralysés. Heureusement, nous avons d'autres secteurs d'intérêt, avec en particulier un très beau projet de conception de jeux vidéo avec des jeunes de l'école Victor Doré à Montréal, dans le domaine du handicap moteur et cognitif sévère, qui soulève des questions passionnantes. Quels loisirs interactifs pouvez-vous proposer à des jeunes qui ont du mal à focaliser leur attention plus de quelques secondes sur quelque chose et qui ne peuvent utiliser ni de souris, ni de clavier ? Nous allons sortir d'ici quelques semaines un jeu qui propose quelques pistes.


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