Vous
ne pouvez y échapper, les médias (télévision, presse écrite, radio,
etc.) ne parlent plus que de ça : la net-économie et ses jeunes
cyberentrepreneurs partis de rien et devenus millionnaires à coups de
levée de fonds. L’arnaque du siècle.
Avant de commencer, quelques rappels de base sur les
néologismes de la nouvelle économie. Tout repose sur la « start-up » :
une entreprise à très fort potentiel de développement, dont l’activité
est centrée sur les nouvelles technologies de l’information et de la
communication. L’« entreprenaute » en est le créateur, généralement
jeune, incompétent en tout, mais doué d’un aplomb hors du commun. Leur
développement est assuré par le financement par « capital-risque », des
fonds d’investissement à haut risque basés sur la spéculation à
l’extrême : on investit sur dix boîtes, en espérant que la réussite
d’une seule rentabilisera l’échec des neuf autres.
Un seul objectif, l’entrée en Bourse
Aucune
start-up ne gagne d’argent de par son
activité propre. Elle n’est pas faite pour ça. Ce ne sont pas les
portails médiocres, la vente de produits en ligne ou l’affichage de
bandeaux publicitaires qui permettront de rentabiliser les énormes
investissements publicitaires. Toutes les
start-ups
qu’on nous donne en
exemple (Yahoo!,
Amazon, etc.) étaient très
déficitaires au moment de
leur entrée en Bourse. Ce n’est donc pas l’activité de l’entreprise qui
lui donne sa valeur.
En réalité (toute l’arnaque est là), la rentabilité réelle de la
start-up ne se situe pas au niveau comptable
(totalement déficitaire),
mais au niveau du capital. L’entreprenaute et capital-risqueur se
paient, à terme, sur le capital de l’entreprise lors de son entrée en
Bourse. Le but n’est pas la création de richesse et d’emploi, la
rentabilité productive ni le progrès des compétences (laissons tout
cela aux idéalistes !). La mission consiste à convaincre des
investisseurs lors de l’introduction sur le marché de l’intérêt de la
start-up, tout en masquant sa nullité
derrière d’énormes campagnes de
communication.
Copiez les autres !
Première étape : créer la
start-up. Dans notre
optique (truander le
marché), il ne s’agit pas de trouver une idée originale ou de
développer une technologie innovante (ça, c’est de la propagande pour
ministre de l’Economie), mais d’adapter en France un concept qui a déjà
fonctionné aux Etats-Unis. Par « fonctionné », j’entends bien entendu «
qui a réussi son entrée en Bourse », et non qui aurait atteint une
belle rentabilité productive. Très simple : faites comme tout le monde
! Chaque année, la presse s’emballe pour la
killer application
qui va
révolutionner Internet, il n’y a pas l’embarras du choix. Il y a
quelques années, vous auriez fait du
push, plus
tard vous auriez
développé un
plug-in... aujourd’hui, faites un
portail (agrégateur du
contenu des autres) au milieu des milliers de portails qui émergent ou
révolutionnez la vente en ligne par différentes variantes du principe
des enchères.
Ensuite, trouver un capital-risqueur. Soyons clair : ici, tout le monde
sait exactement que tout le monde ment, c’est le règne du cynisme à
l’état pur. L’entreprenaute sait que son concept est nul, et
l’investisseur en est parfaitement conscient. Un vaste et savant jeu de
faux-semblants : tout en faisant mine de causer qualité, innovation,
production, chacun sait qu’il organise l’escroquerie des marchés
financiers. L’investisseur ne choisit pas un bon concept, il
sélectionne les entreprenautes selon leur niveau de cynisme, selon
qu’ils savent lui faire comprendre, sans le dire, qu’ils savent que
l’autre sait... «
Je te tiens, tu me tiens, par la barbichette ! » Mise
de base : 20 MF ou 3 millions d'euros (c’est-à-dire : que dalle).
Pour durer, claquez tout !
Cette première mise sert de test. Si l’entreprenaute dépense ces 20
millions dans la formation et la recherche technologique, s’il embauche
des journalistes pour créer du contenu de qualité, s’il paie de vrais
salaires, s’il achète des machines, bref, s’il monte une véritable
activité, l’aventure s’arrête là. Si, au contraire, il dépense 10
millions dans une campagne d’affichage dans le métro, s’il installe ses
trois stagiaires et son CDD dans des locaux somptueux au Sentier à
Paris, s’il sait inviter les journalistes à des conférences de presse
dont le message est «
baffrez-vous de petits fours et de
champagne,
c’est la nouvelle économie qui paie », s’il distribue de
coûteux
gadgets promotionnels, si la presse commence à parler avec enthousiasme
de cette jeune et dynamique entreprise française («
qui
concurrence les
Américains sur leur propre marché, rendez-vous compte ! »),
alors il est
bon pour la phase suivante. L’entreprenaute a donc brûlé ses liquidités
en un temps record (on calcule ici le
cash burn rate
!), n’a pas créé
d’emplois ni développé de compétences... le capital-risqueur est fier
de lui ! Passons aux choses sérieuses : les rallonges de fonds par
centaines de millions de francs.
Avec, encore et toujours, des campagnes de publicité pharaoniques,
comparativement à la taille et à l’activité de ces entreprises.
Attention, la cible de ces campagnes dans le métro, à la télévision,
dans la presse, n’est pas l’utilisateur d’Internet, mais le marché ! En
effet, ces dépenses somptuaires ne seront jamais compensées par
l’activité supplémentaire qu’elles génèrent pour la boîte. Les
campagnes coûtent beaucoup plus que le surcroît d’activité induit ne
rapporte, et cela dans des proportions phénoménales. La campagne grand
public ne sert qu’à faire croire au marché que tout le monde connaît
cette entreprise.
La presse ne va pas cracher dans la soupe
Lors de l’introduction en Bourse, l’épargnant susceptible d’investir
dans la
start-up GadgetIdiot.com doit réagir ainsi
: «
Ah oui,
GadgetIdiot.com, c’est l’événement boursier dont toute la presse parle
! » Et quand il demande leur avis à ses proches (parce qu’il
ne pige
rien à Internet et qu’il n’a aucun moyen de connaître l’activité réelle
de la boîte), son gamin de 14 ans lui explique : «
Ah ouais,
GadgetIdiot.com, le Web des communautés de cybernautes malins, j’ai vu
la pub à la télé, trop classe ! ». Puisque son fils (qui a le
plus
grand mal à apprendre ses leçons mais qu’est vachement doué avec son
ordinateur «
tu le verrais avec sa souris, j’y comprends rien
comme il
va vite... ») se souvient par cœur du slogan, l’épargnant est
rassuré
et se dit qu’il a bien raison Jean-Marc Sylvestre, c’est l’affaire de
la semaine, vachement innovante et dynamique et tout et tout...
Ce n’est pas la presse qui va le détromper : non seulement celle-ci vit
directement des budgets publicitaires des
start-ups
(dont, encore une
fois, l’activité principale consiste à brûler les fonds dans la
communication), mais surtout elle investit elle-même dans la nouvelle
économie. Les grands journaux fondent leurs propres portails, filiales
multimédias, agrégateurs de contenus sur le modèle de la
start-up.
Le
Figaro ne va pas débiner le principe du portail et flinguer
son
ParisAvenue.fr,
Le Monde ne va pas dénoncer son
partenaire Grolier
(Club Internet) et leur bébé commun,
Le Monde Interactif,
chantre du
cyber-gadget niais et de la cyber-économie triomphante.
Et
cetera.
Dernière mascarade
Reste que tous les investisseurs ne sont pas de simples abrutis
sensibles aux sirènes du marketing. Ils veulent des gages plus
traditionnels. Cette crédibilité, les
start-ups
l’obtiennent lors de la
dernière mascarade avant l’entrée en Bourse : les fusions-acquisitions.
Deux
start-ups aux activités imbéciles et aux
résultats navrants (et mal
connus) annoncent fièrement leur fusion à la presse (re-petits fours,
re-champagne...) qui en fait ses gros titres. Ultime gage : une bonne
grosse entreprise reconnue achète la/les
start-up(s)
(re-re-champagne...).
«
Si un mastodonte investit dans cette boîte, c’est qu’elle
est très
crédible », se dit l’investisseur-gogo. Sauf que les
capitaux-risqueurs
eux-mêmes sont des filiales des mastodontes en question... On rachète
ce qu’on possède déjà pour crédibiliser l’ensemble ! Là, l’intoxication
est achevée, l’excitation du marché est à son comble : le moment idéal
pour l’introduction en Bourse, la ruée des petits épargnants et des
fonds de pension.
L’entreprenaute connaît enfin la valeur des actions de son entreprise
et le capital-risqueur touche le bénéfice de ses investissements. Fin
du parcours. Le marché n’a rien acheté d’autre qu’une énorme campagne
de communication.
Oui, mais... et maintenant que l’entreprise est cotée en Bourse ? Que
se
passera-t-il lorsque les actionnaires comprendront qu’ils possèdent des
entreprises qui ne valent rien, dont l’activité est à peine
bénéficiaire, qui n’ont développé ni infrastructures ni compétences ?
Que se passera-t-il lorsque le mensonge sera éventé ?
Rendez-vous au prochain
crash !
Prémisses
d’un krach ?
Tout n’est pas rose dans le monde des start-ups.
Certaines des plus
connues, des plus plébiscitées ont été obligées de licencier récemment.
Mais cette information, concrète, ne semble pas autant intéresser les
médias que les promesses de futurs gains hypothétiques.
Ainsi, Boo, spécialiste anglo-suédois des vêtements branchés est passée
d’une poignée d’employés à plus de 400 en 1999 ! La croissance a été
trop rapide, les dirigeants incapables de contrôler la situation : le
cash burn rate (dépenses en
communication, salaires, etc.) est estimé à
11 millions de dollars par mois. Les recettes sont pourtant très loin
d’arriver à ce niveau. Du jour au lendemain, 10 % des effectifs (dont
les travailleurs temporaires) ont dû quitter l’entreprise début 2000.
Value America, elle, a dû se séparer de la moitié de son personnel !
Ses actionnaires ont même poursuivi le site pour déclarations
mensongères et trompeuses sur la situation financière. De même, lassés
des pertes abyssales, les investisseurs ont contraint Amazon,
entreprise modèle du e-commerce, à un plan de licenciement d’envergure
pour la première fois de son histoire.
Bref, le charme est rompu. Et les introductions en bourse, à
répétition, finissent par lasser, l’actionnaire se montrant plus
sélectif. Récemment, Lycos Europe passait sous son cours d’introduction
après une courte période d’euphorie, il y avait eu 33 fois plus de
demandes que de titres proposés ! World Online (la plus grosse dans le
secteur de l’Internet européen) n’a, elle, jamais décollé. Pourtant
cette dernière avait réussi un sacré coup de pub en lançant un forfait
de connexion Internet à 190 F (29 euros) par mois comprenant des
communications «
illimitées » le soir et le week-end (et 25 heures le reste du temps).
Une offre alléchante. Trop. La société a été complètement dépassée par
les événements, incapable de gérer les inscriptions, incapable d’offrir
un service de qualité (de nombreux internautes payaient le forfait sans
pouvoir se connecter !). World Online jettera rapidement l’éponge. De
tels incidents ne sont pas pour rassurer les investisseurs. Et le cours
de l’action descend, de 50 % en quelques jours, au grand dam des
salariés qui se sont endettés pour souscrire en masse !
Larsen
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