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Paru dans Le Virus Informatique n°46
2021-01-22 00:21
CR

Squale, la surprenante histoire de l’ordinateur français qui n’a (soi-disant) jamais été commercialisé



Lorsque nous avons publié une cote de l’occasion des vieux ordinateurs dans Puces Info, nous avons reçu des insultes (littéralement) de la part de spécialistes de ces objets. Ils nous reprochaient, comme d’autres plus respectueux toutefois, d’avoir notamment publié un prix pour un ordinateur des années 1980 qui n’aurait jamais été commercialisé. Sûrs de notre coup, nous enquêtons depuis deux décennies pour reconstituer l’histoire de cette machine méconnue. Faisons le point de nos découvertes parfois surprenantes !

Notre premier contact avec le Squale remonte au Sicob de 1985, un salon de l’informatique et de la bureautique qui se tenait à la Défense, près de Paris. C’était sur le stand de son fabricant, Apollo 7 (nom souvent écrit ici ou là, à tort, Appolo 7) où quelques exemplaires, autour d’une dizaine, étaient en démonstration. L’ordinateur était dans un boîtier métallique avec, originalité, une sorte d’aileron sur le côté pour accueillir une cartouche. Sur le salon, un stand proche avec des jeux d’Infogrames, dont Mandragore, nous attirait plus que cet ordinateur plutôt cher basé sur un microprocesseur 6809 (comme les Thomson TO et MO, les Dragon 32 et suivants, la console Vectrex…). Quelques articles de presse de l’époque l’ont présenté (Hebdogiciel, Tilt, Votre Ordinateur, Soft & Micro, Science & Vie Micro…). Vismo, une boutique du boulevard Beaumarchais à Paris a fait de la publicité pour le vendre.

Un, puis deux exemplaires retrouvés
Pendant plusieurs années, nous n’avons plus entendu parler du Squale, à part un jour où une personne dont nous avons perdu le contact nous a affirmé avoir revendu le sien d’occasion. Puis, dans un reportage du magazine SVM, nous avons appris qu’il existait un exemplaire, chez un collectionneur de Seine-et-Marne prénommé Sylvain. Cet exemplaire, longtemps présenté comme le seul connu, a été exposé à diverses manifestations consacrées aux vieux ordinateurs. Mais, malheureusement nu, sans sa cartouche Basic (mais avec un manuel imprimé édité par Siros France Co, toutefois) et sans câble pour écran, il n’a jamais été possible de le voir fonctionner. Il fait aujourd’hui partie du stock du Musée des Arts et Métiers (lire entretien).

Après des années de recherche, nous avons, enfin, déniché un autre exemplaire, accompagné d’une cartouche avec une étiquette manuscrite SQTel (un émulateur Minitel), mais malheureusement sans son câble modem, ainsi que d’un gros boîtier contenant deux lecteurs de disquette 5,25 pouces et pouvant accueillir des cartes d’extension SS30, des classeurs contenant de la documentation (tapée à la machine à écrire ?) de Flex et S Basic, quelques disquettes copiées. Des touches du clavier sont cassées, Entrée s’est vue ajouter un gros morceau de plastique, afin de rendre sa surface plus grande, et d’autres touches ont des traces de marqueur. L’ancien propriétaire avait acheté le matériel chez Vismo. Malheureusement, cet exemplaire ne fonctionne pas non plus. Parfois, au début, la machine a affiché un écran bleu, désormais elle n’affiche plus rien.

De simples prototypes ?
Nous relisons ce que disait la presse de l’époque et cherchons à contacter les auteurs de ces articles (plusieurs nous ont autorisés à republier leurs textes, voir liens plus haut). Votre Ordinateur parle de 1 500 machines fabriquées avec un boîtier métallique. Le magazine annonce que les suivantes seront dans un capot en plastique et rapporte que le Squale aurait fait l’objet de 4 000 options. Pour Jean-Louis Le Breton (Froggy Software et ses jeux pour Apple II, vous vous souvenez ?), qui a testé la machine dans le magazine Hebdogiciel et qui a visité les bureaux d’Apollo 7 (il n’a pas vu de chaînes de montage), la machine n’aurait jamais été vendue. Le site Web de l’association MO5.com - qui, bien qu’en désaccord, ne nous a pas insultés - affirmait, lui aussi, que le Squale serait resté à l’état de prototype. Conçu par des anciens de chez S.M.T. Goupil, il aurait été fabriqué à 18 exemplaires pour le Sicob, dont seulement 15 fonctionnels. Objectif : séduire acheteurs et distributeurs. À partir de 1 000 exemplaires, la production de masse aurait été lancée. Mais, malheureusement, il n’y aurait eu que 500 commandes. Finalement, nous avons pu retrouver l’ancien gérant d’Apollo 7, lui-même, qui nous a donné une autre version de l’histoire (lire encadré). Histoire qui sera contredite en partie, un peu plus tard, par un autre acteur dont nous avons retrouvé la trace, Didier Cugy.

Archéologie numérique
Les disquettes que nous avons récupérées sont au format du système d’exploitation Flex (comme le Goupil G3, le Tavernier…). Sur PC avec des utilitaires spécialisés, nous les avons « dumpées ». Malheureusement, elles sont en partie devenues illisibles depuis le temps (moisies, il y a des trous dedans !). Dell Setzer, l’auteur d’ana2dsk, a modifié son logiciel pour l’adapter au format spécifique de nos disquettes. Un nouveau « dump » a été réalisé plus tard avec un matériel spécialisé, ainsi que celui de l’Eprom contenant le système du Squale (version 2R1), appelé le « moniteur » à cette époque (aucun rapport avec l’écran !). Un peu plus tôt, c’est la mémoire morte de l’exemplaire du CNAM qui a été récupérée (version 1.2), ainsi que celui d’un composant programmable TBP18S030 (32 octets) ; le matériel n’étant ni modifié ni abîmé lors de l’opération, le musée a donné son accord au spécialiste Torlus. Nous nous sommes lancés dans l’exploration des contenus de nos fichiers avec un éditeur ASCII et hexadécimal, à la recherche du moindre indice…
La mémoire morte faisait apparaître une chaîne de caractères « Cugy ». Un peu court… Mais, après des recherches, nous avons retrouvé la piste de Didier Cugy, qui s’est intéressé à des produits Goupil notamment. Bonne pioche ! Didier Cugy a conçu, notamment, la seconde version du moniteur du Squale, ainsi que SQTel (lire encadré). Au moment où nous le contactons, il est, en fait, médecin (à la retraite désormais). Coïncidence : il se trouve que Steeve Chadefaux est ostéopathe au moment où nous l’avons retrouvé et qu’Apollo 7, en fait plutôt Matériels Techniques de Boulogne (MTB), la société de son père, a été également active dans le domaine industriel en rapport avec la médecine.



Les souvenirs du constructeur de l’ordinateur Squale

Face à la difficulté pour retrouver la moindre information sur Internet ou ailleurs concernant Apollo 7, fermée depuis bien longtemps, nous avons décidé de reprendre l’enquête à partir de zéro. Munis du numéro de registre du commerce (83 B 9140), nous nous sommes adressés à l’administration pour obtenir des informations officielles sur la société. Nous avons ainsi découvert le nom de son gérant de l’époque, Steeve Chadefaux. Ce fut une surprise pour nous de pouvoir le retrouver 25 ans après, et pour lui de recevoir nos questions.

Que pouvez-vous nous dire de l’histoire du Squale ?
Aujourd’hui, je suis passé à autre chose. Vous me rappelez une mauvaise période. Le gouvernement voulait équiper les écoles d’ordinateurs lors du plan Informatique Pour Tous (IPT) auquel nous voulions participer. En face, il y avait le TO7 de Thomson. Il ne fonctionnait pas bien, ses cassettes magnétiques plantaient souvent au chargement. Nous, nous avions une machine solide, fiable avec un port cartouche (note de la rédaction, le TO7 possédait aussi un port cartouche), un modem intégré compatible avec le Minitel, etc. Nos interlocuteurs reconnaissaient les qualités du Squale. Nous avions avancé beaucoup d’argent, beaucoup d’argent personnel, dans le développement de la machine, pour faire les achats de pièces, etc. Mais Thomson a été nationalisée et comme elle avait 110 000 machines sur les bras… Nous étions une toute petite société, cette histoire nous a amenés à faire un magistral dépôt de bilan. Nous ne sommes pas les seuls à avoir souffert dans cette affaire, d’autres constructeurs français aussi. Ce que je vous dis là n’est pas le reflet d’un engagement politique quelconque de ma part, je ne vous parle ici que du plan IPT.

D’où vient l’idée du Squale ?
J’ai fait un rêve pour la France. Je suis entrepreneur, je voulais donc lui donner (peut-être, c’était pour mon ego aussi), lui créer un ordinateur, de qualité, j’insiste. Je me suis défoncé pour cela. Je travaillais 20 heures par jour.

Vous avez voulu faire comme Apple aux États-Unis ?
En France, les choses ne peuvent pas se passer de la même façon. On m’a souvent dit « si tu avais été Américain, tu aurais été chevalier de l’industrie informatique ». Antenne 2 (note de la rédaction, ancien nom de France 2) avait diffusé un reportage sur nous.

Qui a conçu le Squale ?
Je ne suis pas technicien, je faisais plutôt le commercial, ce n’est donc pas moi, mais je ne me souviens plus des noms des personnes. Vous savez, c’était très artisanal. Oui, « artisanal », c’est bien le mot. C’est moi qui ai trouvé le nom « Squale ». J’avais eu aussi l’idée d’incliner le clavier pour améliorer l’ergonomie. Il y avait plusieurs langages à cette époque : Fortran, Basic… Nous avons choisi ce dernier avec le S Basic, même si ce n’était pas le plus performant, car il permettait de développer simplement et rapidement.

La machine a-t-elle été commercialisée ? Et, si oui, à combien d’exemplaires ?
(silence) Je ne sais plus trop. Peut être 400 ou 500 exemplaires ont été vendus, sur une production de 1 000.

Comment se fait-il que si peu ont été retrouvés ?
Les autres ont dû aller au pilon. Ça fait plaisir de savoir qu’un exemplaire est dans un musée !

Y a-t-il eu des exemplaires avec un boîtier en plastique ?
Le moule avait été fait, il nous avait coûté beaucoup d’argent. Mais on n’a jamais pu injecter la première machine, car nous n’avions plus d’argent. Il n’y a donc eu que des Squale avec un boîtier en aluminium.

Quelles extensions sont sorties (lecteur disquettes, cartes, etc.) ?
Nous n’avons pas vendu de lecteur de disquettes !

Pourtant nous avons trouvé un exemplaire chez un particulier qui affirme l’avoir acheté dans une boutique parisienne ?
Je suis curieux de savoir où il l’a trouvé. À ma connaissance, nous avons réalisé deux ou trois prototypes seulement.

Sur les disquettes trouvées avec ce lecteur (il y avait le S Basic dessus), nous avons trouvé des références à S.M.T. Goupil. Pourquoi ?
Notre société n’a jamais diffusé la moindre disquette, je suis catégorique.

Quels logiciels sont sortis sur le Squale ? Nous n’en avons retrouvé aucune trace, mais selon nos informations, il y aurait eu des ordinateurs chez des éditeurs comme Sprites…
J’ai contacté des programmeurs pour qu’on ait une gamme de logiciels, mais les tarifs étaient trop élevés et nous n’avions déjà plus d’argent, donc cela ne s’est pas fait. Aussi les responsables du plan IPT ne nous avaient pas dit quels types de logiciels ils voulaient.
Je suis désolé, mais je vous ai dit tout ce dont je me souviens. La mémoire humaine est ainsi faite qu’on a tendance à oublier les mauvais moments. Le plan IPT a été terrible pour nous, un vrai gâchis. Si de nouvelles choses me reviennent, je vous en ferai part.

Merci ! Rassurez-nous, il y a eu de bons moments quand même ?
Heureusement, il y a eu des moments fantastiques, oui ! Et, même si je ne me souviens pas des noms des personnes, c’était une aventure de copains. Je l’avais voulu comme telle en tout cas.




Vous trouverez la suite de ce dossier dans Virus Info 46.

Olivier Aichelbaum

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