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Paru dans Le Virus Informatique n°27
2016-02-12 00:00
CR

Il y a 30 ans, des Français inventaient un ancêtre de l'iPad



« Un Macintosh de poche pour 5 000 FF conduit par un 8088, de mémoire extensible à 640 Ko, compatible IBM PC, muni de deux interfaces, et commandé par un écran plat sensitif, comment appeler cela ? L’ordinateur de demain, une douce élucubration, une invention de science-fiction ? En tout cas, une chose est sûre : la machine fonctionne, on l’a vue », L’Ordinateur Individuel, février 1986

Beaucoup pensent que les tablettes tactiles sont nées il y a quelques années avec l’iPad. En fait, d’autres tablettes sont déjà sorties avant - même si elles n’ont pas connu le même succès commercial. Citons la GridPad de Grid Systems (1989) qui pesait 2 kg et coûtait 3.000 dollars, la Tablet PC de Microsoft (2002) sous Windows XP, en passant par le Newton d’Apple (1993). Mais, bien avant encore, des Français ont mis au point un appareil de seulement 500 g, le PBB de Micro-Archi, méconnu. 30 ans plus tard, nous avons retrouvé les acteurs d’une histoire pleine de surprises.

La première fois que le PBB a été dévoilé à un large public, c’est par Igor et Grichka Bogdanov, les présentateurs de Temps X sur TF1, une émission télévisée consacrée à la vulgarisation scientifique et à la science-fiction. En 1986, quelques magazines ont publié des articles. Le Nouvel Observateur sous la plume de Bernard Werber (journaliste scientifique devenu plus tard romancier, auteur du livre Les Fourmis par exemple) annonce une machine de « 2 centimètres de haut, 20 de long et 11 de large. Son poids ne dépasse pas 500 g ! Jusque-là, le problème de la miniaturisation butait sur la taille de l’écran et du clavier. Le PBB l’a résolu en utilisant l’écran comme clavier et vice versa. Toute la surface supérieure de l’appareil est en effet occupée par un écran à cristaux liquides. Il suffit d’allumer l’ordinateur pour voir apparaître au choix un clavier Azerty, Qwerty ou même ABCDE. On pianote directement sur les lettres ou sur les chiffres, et le texte apparaît dans un autre encadré ! »
Hebdogiciel a été le magazine qui a publié l’article le plus long et le plus détaillé sur le PBB sous le titre Un Macintosh portable à 5 000 francs (750 €). À cette époque, le Macintosh n’avait aucune version portable (à moins de tenir compte de la poignée des premiers modèles...) et coûtait dans les 20.000 francs. Le journaliste, qui n’a pas signé l’article, indique avoir essayé la petite machine française. Le clavier sur l’écran tactile peut être totalement reconfiguré en fait, touche par touche. Autour de lui se trouvent quelques touches physiques dites les « invariants » pour déplacer le curseur, éditer (Move, Copy, Restore...) ou valider, par exemple. Le système d’exploitation est multitâches et fenêtré avec des icônes. Micro-Archi affirme qu’Alan Kay a travaillé avec son équipe avant même le lancement du Macintosh. Pour mémoire, en 1972, Alan Kay avait proposé à Xerox de réaliser le Dynabook, un ordinateur portable utilisable par des enfants, mais n’était pas allé au bout de son idée. Après quelques années chez Atari et un passage à Paris, en 1984 il était entré chez Apple pour rejoindre l’équipe du Macintosh.
Le PBB propose des ports RS/232, parallèle et analogique pour effectuer des mesures diverses comme celle de la température par exemple. Il intègre aussi un buzzer pour le son et une prise Jack. La ROM fait 128 Ko, dont une quarantaine de kilo-octets pour le noyau du système, le reste étant pour le Basic et d’autres choses. Sous la machine se logent des cartouches de 2 cm sur 3 cm. Elles offrent chacune une capacité de 128 Ko de mémoire vive. Une pile au lithium permet de conserver les informations stockées pendant deux ans. Ces cartouches peuvent être livrées avec des logiciels. Des démonstrations sont faites avec un jeu d’échecs, un carnet d’adresses, une calculatrice scientifique... Il est dit que la société Lotus, connue pour son tableur de référence 1-2-3, serait intéressée pour développer des applications. Micro-Archi déclare que le projet a été lancé en 1978 avec un 8088, plusieurs années avant que le premier PC ne soit commercialisé par IBM, équipé de ce même microprocesseur. Une heureuse coïncidence puisqu’elle permet de développer les logiciels du PBB sur des PC, et non plus sur un gros ordinateur d’Intel à « 2 millions de dollars » comme au début. Une compatibilité PC, seulement partielle selon Tilt, est même promise aux futurs utilisateurs.
Suite à sa visite des locaux de Micro-Archi, Hebdogiciel anticipe des développements futurs autour du PBB comme la possibilité de recevoir la télévision, de rendre le téléphone intelligent, ou de discuter avec une automobile... Le lancement commercial grand public est annoncé pour 1987, la société disant d’une part attendre une nouvelle génération d’écran et d’autre part un financement : « d’autres partenaires sont recherchés et Micro-Archi souhaite rencontrer les responsables de Thomson, d’Olivetti ou de Philips », expliquait L’Ordinateur Individuel. Mais le PBB n’a jamais été vu dans nos boutiques. Compte tenu des spécifications techniques annoncées et du prix, le produit semblait tenir de la science-fiction et est tombé dans un oubli presque total. Notre enquête commence ici.

Des points communs avec le Macintosh

Le PBB - de son nom complet Pocket Big Brain - est l’idée de François Mizzi, ancien enseignant à l’École des Mines, malheureusement décédé il y a quelques années. Il s’est inspiré d’un matériel miliaire de Litton vu en 1977, un petit appareil tactile. Son objectif : faire moins cher (l’appareil américain coûtait 60.000 F, environ 9.000 €) et plus simple à utiliser, grand public. Quelques années plus tôt, il avait rencontré Alan Kay.
Son frère Pierre Mizzi, décédé en 2015, a également participé à l’aventure, s’occupant plus du volet financier. Pierre Mizzi a été en outre gérant d’une autre société Micro Archi, en activité une courte période au début des années 2000 et qui œuvrait dans le logiciel.
Les locaux de Micro-Archi - la première - se situaient rue du Temple dans le Marais, à Paris. « C’était pratique d’accès en RER pour un partenaire venu depuis les aéroports de Roissy ou d’Orly, nous expliquait François Mizzi, qui visiblement avait pensé à tout », raconte Jamal Berber, son directeur technique. Dans cette enfilade de bureaux travaillait une vingtaine de personnes, la moitié s’occupant de la partie technique. La société avait aussi une présence à San Francisco en Californie et au Japon. Nous avons évoqué plus haut une comparaison avec un Macintosh portable. Le PBB partage certaines règles de conception avec les produits d’Apple : le matériel et le logiciel sont développés ensemble l’un pour l’autre, le boîtier est imaginé en premier, à charge pour les ingénieurs de tout faire entrer dedans. Jamal Berber a une anecdote à ce sujet : « François Mizzi a discuté avec son tailleur de la taille des poches pour loger le PBB. La taille de l’écran a aussi été fixée en fonction de la taille des doigts, pour taper avec assez de confort. Selon les différents alphabets (latin, japonais...), il fallait loger au moins 35 touches. C’est ainsi que les dimensions du PBB ont été décidées. » Le boîtier lui-même a été dessiné par la société Enfi Design. Quelle a été la contribution d’Alan Kay au PBB ? Jamal Berber répond : « Alan a eu une influence, mais pas de rôle direct dans le projet. Je me souviens de quelques visites. Alan Kay était aussi en relation avec mon précédent projet, où il avait conseillé sur la stratégie à adopter pour les chaînes de compilations (un choix aux implications importantes à l’époque). »
Avant de rejoindre Micro-Archi, Jamal Berber a été ingénieur de recherche à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA). Il y travaillait sur les technologies réseaux, mais aussi les interfaces homme-machine (vocales et graphiques) dans le cadre de Kayak. L’objectif de ce projet était de faire un mini Xerox Park à la Française, le laboratoire où sont nées beaucoup des idées reprises et popularisées par la suite par Apple sur son Mac. En parallèle de son emploi, Jamal Berber travaillait sur la conception d’un processeur graphique avec Richard Poisson, ingénieur électronicien avec qui il est ami depuis les classes préparatoires. C’est en 1982 dans le cadre d’une présentation de leur projet personnel qu’ils rencontrent François Mizzi. Ce dernier les convainc de rejoindre son équipe.

Des technologies encore dans les laboratoires

Pour mettre au point le PBB, il faut réunir un microprocesseur, un écran tactile avec reconnaissance des gestes, un système d’exploitation, etc. Des technologies qui pour certaines n’existaient encore sous forme de prototype que dans des laboratoires. Pour les interfaces d’utilisation, Jamal Berber apporte ses contacts.
Pour le matériel, il explique : « Au début des années 1980, les écrans étaient de type plasma. On ne savait pas faire des écrans LCD, seulement ceux avec des segments comme sur les montres. Les mémoires électroniquement effaçables n’existaient pas encore. La technologie CMOS commençait à apparaître au Japon, cela permettait de diviser la consommation électrique par 10. Oki, qui était un fabricant de machines à coudre a obtenu la licence d’Intel pour faire un 8088. » Concernant les écrans, Richard Poisson ajoute : « l’écran était composé de deux couches, une pour l’affichage, une pour les pressions de doigt. Les deux couches avalaient la lumière. C’était vraiment les débuts, pas encore au point. Cette technologie a évolué doucement pendant plusieurs années. Il y a eu une accélération par la suite. » Sortant un smartphone moderne de sa poche, il est admiratif : « regardez ces couleurs et cette luminosité ! », puis continue : « Nous avons choisi la technologie d’écran de Sunx (Panasonic) pour la présérie, mais nous nous sommes aperçus que nous avions un problème d’étalonnage, chaque appareil ne réagissait pas de la même façon aux pressions sur l’écran. Il a donc fallu procéder à un étalonnage du clavier en analysant les quatre coins, appareil par appareil. » Micro-Archi n’a pas été qu’un simple utilisateur des écrans tactiles, mais a aussi fait avancer la technologie. La société a quelques brevets à son actif.
L’Ordinateur Individuel avait annoncé une résolution graphique de 128 par 300 pixels, soit 16 lignes de 63 caractères. Selon Jamal Berber, la résolution initiale était de 128 lignes de 320 pixels monochromes pour l’affichage et de 64 lignes de 160 points pour la partie tactile résistive ; la résolution de l’écran est ensuite passée à 320 par 160 pixels, tandis que la dalle tactile est devenue continue.
Du fait de ces innovations, le prix annoncé de 5 000 francs pour le PBB peut sembler irréaliste par rapport à ce qui se faisait à l’époque. « François Mizzi nous disait : « Tout ce qui est dans la machine est de l’imprimerie ». On retrouve d’ailleurs l’idée dans le mot « circuit imprimé ». Les connecteurs élastomères de type Zebra qu’on utilisait sont aussi de l’impression. À grande échelle, les autres composants n’auraient pas coûté cher non plus à produire, comme si on les avait imprimés », raconte l’ancien directeur technique. De nombreux voyages sont effectués par le personnel au Japon pour voir des prototypes des divers composants. « Je ne sais pas comment, François Mizzi avait tous les contacts et savait ce qui se faisait dans tel ou tel laboratoire », se remémore l’ancien directeur technique. Il y eut aussi des voyages aux États-Unis, notamment pour réaliser une puce programmable, un ASIC chargé du décodage d’adresses avec des économies d’énergie et de coûts de fabrication à la clef. « C’était chez LSI Logic. Je crois bien que c’est la première fois qu’une société faisait cela en dehors du domaine militaire », déclare Richard Poisson avant d’avouer : « Malheureusement, cette puce souffrait d’un petit bogue, un code binaire symétrique qui nous a trompés. »
Le projet avance vite. Sourire aux lèvres, Jamal Berber déclare : « Les composants sont arrivés à temps. Au bout de six mois, on avait un premier prototype du PBB, le logiciel et le matériel ont fonctionné du premier coup, bien sûr ce n’était pas tout le logiciel ni tout le matériel, mais cela fonctionnait, et ce malgré la puce boguée. » Bien sûr, la machine se veut économe en énergie. « Le PBB utilise de la mémoire statique, moins gourmande en énergie que la mémoire dynamique. Un condensateur juste après les mémoires permet d’en conserver un peu le contenu quand il n’y a pas de piles. », précise le directeur technique. Malgré la technologie CMOS du 80C88, l’ASIC, les mémoires statiques et autres, l’autonomie du PBB serait faible. De l’ordre d’une heure, selon Richard Poisson.

Un projet financé par la société pétrolière Elf

Autant d’ingénieurs et de voyages, cela coûte cher. 10 millions de dollars auraient été mis sur la table selon les déclarations de l’époque, une somme considérable. Ce que la presse de l’époque n’avait pas dit, c’est que le PBB était financé par... Elf, par le bras de son fonds d’investissement InnovElf. Le dirigeant d’Elf à cette époque, Albin Chalandon (qui deviendra quelques années plus tard Ministre de la Justice), avait été séduit par le projet. Mais que vient faire la société pétrolière française dans cette histoire ?
« Elf avait beaucoup d’argent et voulait investir. Cela a parfois donné n’importe quoi : l’« affaire des avions renifleurs », c’était juste avant. Mais le PBB, lui, était un projet sérieux », tient à assurer Henri Seydoux, alors programmeur chez Micro-Archi, avant d’ajouter que « l’objectif était de créer un prototype en deux ou trois ans, et ensuite d’en proposer la licence à des constructeurs. Nous avons réalisé ce prototype, il fonctionnait. »
Journaliste pour Actuel juste après un Bac scientifique , Henri Seydoux rencontre vers 1980 Roland Moreno pour réaliser un article. L’inventeur de la carte à puce utilisée par les cabines téléphoniques le poussera à s’intéresser à la micro-informatique. Il s’achète un Apple II avec son argent de poche et apprend la programmation. En 1983, il intègre les rangs de Micro-Archi. Le nom d’Henri Seydoux vous est peut-être familier : il est désormais p.-d.g. de Parrot, société qu’il a co-fondée en 1994 et qui fabrique des drones, des kits mains libres pour véhicules et autres appareils électroniques. Entre les deux, en 1985, il a créé BSCA (Buffin Seydoux Computer Animation) avec Pierre Buffin, une société spécialisée dans les effets spéciaux et la synthèse d’image. À son départ en 1990, BSCA devient Buf Compagnie. Cette société a travaillé sur des films comme Matrix, The Dark Knight ou Avatar.

Le Basic utilisé sur Goupil et Squale

C’est le S Basic, utilisé notamment par des ordinateurs Goupil et plus anecdotiquement par le Squale d’Apollo 7, qui est choisi pour équiper le PBB. Cette version du langage a été développée par Saab Abou-Jaoudé, professeur de mathématiques en classes préparatoires au lycée Sainte-Geneviève de Versailles qui avait déjà effectué le portage du microprocesseur 6809 vers le 8088. Sa version a été choisie après une compétition contre Microsoft. L’ancien enseignant désormais à la retraite nous raconte : « Les tests ont montré que mon Basic était beaucoup plus rapide que celui de Microsoft pour les calculs arithmétiques. Mais Microsoft pouvait paraître plus prestigieuse qu’un développeur seul dans son coin. Pour être certain d’avoir le marché, j’ai essayé d’estimer le prix de la proposition de la société américaine et de faire une offre en dessous. C’est passé ! » Jamal Berber confirme : « Microsoft n’avait rien investi pour améliorer les performances de son Basic en calculs flottants, et son langage prenait 128 Ko, c’était trop. François Mizzi voulait le meilleur pour le PBB, même si cela ne venait pas d’une grande marque. » Le module de calculs entiers et flottants a d’ailleurs été isolé par l’enseignant pour l’application calculette du PBB.
Henri Seydoux ajoute : « le rôle de Saab Abou Jaoudé ne se limite pas seulement au Basic. Il s’attardait aussi pour regarder ce que faisaient les développeurs du système d’exploitation. Grâce à ses conseils, j’ai pu faire des optimisations de mon côté. » Le mathématicien se souvient avoir apporté une contribution importante à l’algorithme de gestion des fenêtres. Il se souvient aussi des lettres « RITN » placées au début de cartouche pour les identifier, après une instruction de saut. Il s’agissait en fait d’écrire « Riton » de manière concise (pour économiser les octets), le surnom d’Henri Seydoux. Surprenant : les deux hommes décrivent, 30 ans plus tard, les fonctions qu’ils ont écrites, leurs noms, paramètres et astuces éventuelles, comme s’ils avaient travaillé dessus la veille ! À son tour, Jamal Berber se souvient « des lettres « COCT » utilisées ailleurs, pour évoquer le surnom de la première fille d’Henri Seydoux, Camille. Ce sont les quatre premiers caractères des détrompeurs de mémoire qui permettent de savoir si un bloc est déjà initialisé par le software ou encore brut. Cela montre que nous prenions nos décisions techniques rapidement et que tous les membres de l’équipe avaient le droit de choisir une solution, et m’informaient par la suite. Nous faisions des changements si je pensais autrement ou si l’essai ne marchait pas. » Si le programmeur était resté plus longtemps chez Micro-Archi, qui sait, peut-être y aurait-il eu des caractères dans la mémoire du PBB réservés à son autre fille, Léa (actrice vue dans le récent James Bond). Henri Seydoux a développé tout le système d’exploitation (gestion de la mémoire, des fichiers, des fenêtres...), sauf le moniteur temps réel et les routines graphiques bit blitting. Ce développement a été réalisé en langage PL/M.

Un nid d’entrepreneurs

« L’argent d’Elf n’arrivait qu’au fur et à mesure. François Mizzi s’était engagé auprès de ceux qui nous finançaient à réaliser des objectifs trimestriels. Le rythme de travail était éprouvant, on travaillait souvent les samedis et même les dimanches, je me souviens même m’être endormi debout dans le bus. Mais nous avons atteint les objectifs à chaque fois. En contre-partie, tous les trois mois, les salariés avaient droit à une prime sous forme d’un mois de salaire en plus. Cela faisait 16 mois de salaires dans l’année. Je crois que je n’ai jamais gagné autant d’argent. » raconte Richard Poisson avant d’ajouter « On « vivait » ensemble, on n’était pas seulement des collègues, on était devenu une bande de copains. Il y avait une super ambiance, on allait les uns chez les autres, on faisait la fête, on buvait... Il y avait beaucoup de créativité, les idées fusaient en permanence ! Mes anciens collègues ont d’ailleurs tous, je crois, lancé leurs sociétés par la suite, sauf moi. »
Après un détour dans la gestion, Richard Poisson est revenu dans l’électronique. Il travaille désormais dans l’industrie nucléaire. De fait, tous ses anciens collègues ne sont pas devenus entrepreneurs, mais plusieurs, oui. Nous avons déjà parlé de la trajectoire d’Henri Seydoux. Bruno Mouneimne, ingénieur électronique puis responsable des études électroniques sur le PBB, a lancé Artedas qui s’occupe du logiciel OrCAD. En quittant Micro-Archi, Edouard Rencker a fondé Sequoia, société produisant du contenu pour la presse et les entreprises, fusionnée avec d’autres pour devenir Makheia, société cotée en bourse qu’il dirige actuellement. Après avoir travaillé pour Symbian, Jamal Berber s’est lancé dans son service Internet Mikz. Il a aussi de nouveaux projets autour des énergies nouvelles.
Henri Seydoux complète : « Il y avait chez Micro-Archi un groupe de personnes très investies dans le projet et qui le tiraient vers l’avant, des personnes qui ont pris leur envol à ce moment-là. De la même façon, il y a chez Parrot des ingénieurs dont on peut déjà sentir qu’ils vont « exploser » et faire de grandes choses. L’avenir est dans les start-ups. L’innovation est à portée de main. Il suffit de quelques personnes décidées, d’un million de dollars et on peut faire quelque chose. »

Bill Gates n’a pas voulu du PBB

Afin d’industrialiser le projet, le PBB a été montré à plusieurs responsables de sociétés dont Bill Gates de Microsoft et John Sculley, alors p.-d.g. d’Apple. Ils n’en ont pas voulu, malgré son avance technique considérable. Pour resituer les choses : à cette époque, seule la première version de Windows existait. Pourquoi le PBB n’a-t-il pas réussi commercialement ? Henri Seydoux analyse : « C’est une industrie américaine. Cela se voit aux mots-clefs des langages Basic, C et autres (IF... THEN... ELSE). Il y a peu de succès qui ne soient pas américains. Les États-Unis sont le centre du monde. Là-bas, il y a les capitaux. On a commencé Parrot avec 16 millions d’euros, en Amérique on aurait rajouté un zéro. Ce pays a plus d’ambition, le savoir-faire marketing aussi, etc. »
Il ajoute : « Pour le PBB, c’était encore trop tôt. Il manquait les fonctionnalités des télécommunications sans fil que nous avons désormais. En fait, on ne savait pas encore à quoi cela pouvait servir. Mais les usages seraient venus d’eux-mêmes. Chez Parrot, nous avons commencé à travailler sur les drones en 2005 ou 2006, plusieurs années avant le lancement de notre premier modèle. Nous n’avions pas imaginé les utilisations qui en seraient faites comme dans l’agriculture par exemple. »
Jamal Berber a son explication : « François Mizzi a sous-estimé l’impact, le marché ne pouvait pas absorber une telle innovation. Le PBB aurait peut-être pu démarrer dans les années 1990 en même temps que les Palm et autres. Chez Micro-Archi, nous n’avons pas vu venir la téléphonie mobile. » Richard Poisson nuance : « Henri avait pensé à des jeux en réseau. » Concernant les jeux, Jamal Berber a des regrets : « Le PBB était une machine ludique pour les jeunes, qui aurait pu aussi servir aux personnages âgées. Pierre Berloquin, qui s’occupait de la rubrique Jeux et Énigmes du journal Le Monde, imaginait des jeux puis Luc Bureller du Club des Sharpentiers nous adaptait ses idées en logiciels. On avait une machine portable, programmable, avec des cartouches qui auraient pu contenir des jeux. Et ce, quelques années avant la Game Boy ! » Certains lecteurs se souviendront aussi de Pierre Berloquin pour avoir cofondé le magazine Jeux & Stratégie notamment. Le Club des Sharpentiers utilisait l’adresse de Micro-Archi à une époque.

Un concept trop figé

Henri Seydoux fait son bilan personnel : « Je suis sans doute celui qui a le plus profité de l’aventure Micro-Archi sur un plan professionnel. J’y suis arrivé jeune programmeur avec peu d’expérience, j’ai vu ce qui s’y faisait, j’en ai tiré des leçons : « C’est génial ce qu’on peut faire, mais pas comme cela ! ». Il faut agir de bout en bout, ne pas se limiter à des licences accordées à des constructeurs. Il ne faut pas avoir peur de passer à l’étape suivante, il faut fabriquer et commercialiser. C’est la règle que j’ai suivie pour Parrot. » Ces mots ont encore plus de sens prononcés devant un grand placard de son bureau où les produits lancés, ou pas parfois d’ailleurs, s’entassent jusqu’au plafond.
Parmi ces objets : un souvenir de l’époque Micro-Archi, un modèle de présérie qui a été fabriqué par un fabricant japonais, non indiqué. Figure dessus l’inscription Index 2I2C. Index comme le nom de certains produits Epson ? Sa largeur est de 11,5 cm et non 11 cm, comme annoncé. Malgré la bonne volonté d’Henri Seydoux, l’appareil refusera de s’allumer.
Une piste a été évoquée pour rebondir malgré l’échec commercial. Jamal Berber se souvient : « Henri Seydoux a proposé qu’on transforme le PBB en ordinateur portable. À cette époque, les PC portables étaient de grosses machines très lourdes. Grâce à la technologie CMOS, nous avions une machine légère, une grosse avance sur la concurrence, il suffisait de rajouter un clavier physique. » François Mizzi a refusé. Un peu plus tard arrive T1000 (ou Papman) de Toshiba, considéré comme le premier notebook, il fait figure de révolution sur le marché : proposé à 1.000 dollars, il pèse « seulement » 3 kg. Ce fut un grand succès. Le PBB aurait peut-être pu faire encore mieux, mais Micro-Archi fait du surplace tout ce temps.
Le directeur technique continue : « Après avoir payé une très grosse somme d’argent rien que pour voir le prototype, Sharp a signé un contrat de fabrication. Mais la société japonaise n’avait pas réalisé le même assemblage, François Mizzi a refusé d’aller plus loin. Il voulait son produit tel quel et conserver le contrôle des générations suivantes, ce qui est très difficile à vendre. Nous avons récupéré la licence des logiciels, des industriels japonais ont signé, mais ce n’était plus grand public. » Hitachi et Epson ont fabriqué des dérivés professionnels du PBB.
Il conclut : « François Mizzi ne voulait pas changer d’orientation. Je n’étais pas d’accord avec ça. Nous sommes plusieurs à être partis à cette période, car nous nous sentions dans une impasse. François Mizzi aimait trop son bébé. Il a choisi son rêve plutôt que la fortune. Avec le recul, je peux maintenant dire que c’était honorable. »

Épilogue

En avril 1995 (et ce n’était pas un poisson !), SVM présentera l’Aidex, 6e génération des appareils de Micro-Archi, plus petit (son écran mesure 130 par 65 mm) et utilisant un vieux V20 (un compatible 8088) associé à quatre processeurs plus rapides regroupés dans un FPGA. Cette machine a été présentée à Microsoft, à Apple, à IBM... Mais elle n’a jamais été commercialisée à notre connaissance.




Un journaliste en immersion chez Micro-Archi !

Aux débuts des années 1980, Edouard Rencker était journaliste économique et travaillait aussi dans la presse informatique (L’Ordinateur Individuel, 01 Hebdo...). Il raconte : « François Mizzi m’avait demandé d’écrire un livre sur ce qu’il faisait. Quand il m’a parlé de son idée qui selon lui pourrait changer le monde, j’ai pensé « ce monsieur est fou ! », mais en réalité cela tenait du génie et j’ai accepté : il m’avait décrit l’iPhone plus de 20 ans avant sa sortie, un petit appareil tactile qu’on aurait tous dans la poche et qui permettrait de faire tourner des logiciels. En fait, il ne manquait que la fonctionnalité de téléphonie à son projet. » Ce livre n’est jamais paru. L’ancien journaliste explique : « Progressivement ma mission a évolué, je faisais de la veille et de la communication. Je suivais ce qui se passait dans le monde en matière d’interfaces utilisateurs, d’écrans tactiles, etc. Puis j’en faisais une lettre d’information interne. En parallèle, je devais m’occuper de tests auprès d’utilisateurs lambdas. »
La suite de son témoignage est plus surprenante : « Nous avions un magasin à Lille (dont je ne me souviens pas du nom) qui vendait de petits appareils programmables de Sharp et autres, similaires à des calculatrices. Ce n’était pas une boutique d’informatique, il y avait aussi des meubles et des articles de décoration. Le but n’était pas tant de faire du chiffre d’affaires que des tests consommateurs, pour voir ce qu’ils faisaient et comment avec ces produits, car on ne savait pas ce que les gens feraient du PBB ! J’y allais les samedis. J’ai aussi fait des articles pour La Voix du Nord dans ce contexte. » Ces études de comportements ont été faites avec les machines du magasin, jamais avec le PBB. Edouard Rencker ajoute : « bien sûr nous avons fait des tests utilisateurs avec notre machine, mais ces tests étaient confidentiels, très encadrés. D’ailleurs, la sécurité était très poussée chez Micro-Archi, tout était verrouillé par contrat, on n’avait pas le droit de parler à l’extérieur. C’était problématique, car il fallait aussi faire parler du projet dans la presse, j’ai quand même pu lâcher quelques informations à des confrères. » L’Ordinateur Individuel avait révélé qu’un embargo de « trois (longs) mois » lui avait été imposé concernant sa prise en main, le magazine précisant qu’il connaissait depuis des années l’existence de ce « projet [...] jalousement gardé secret. »

Olivier Aichelbaum

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