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Paru dans
Le Virus Informatique n°17PC Jeux avait bien pratiqué la censure !
Dans Virus 3,
nous
vous racontions
l’histoire d’un journaliste recruté par PC Jeux puis
licencié sur pression des
éditeurs de logiciels, avant même la parution du premier
numéro. La justice,
qui avait pris l’affaire en main, vient tout juste de rendre son
verdict.
Rappel des faits.
En avril 1997,
Francis Rozange est engagé en tant que pigiste* par Imré
Antal, rédacteur en
chef du futur PC Gamers français, édité
par les éditions Edicorp
(devenues récemment Future France: Windows News, PC
Max, Jeux
Vidéo Magazine, etc.). Devant les caméras de Net
Plus Ultra (La
Cinquième), I. Antal explique qu’il a choisi cette recrue pour
son franc-parler
et qu’il saura résister aux éventuelles pressions.
Francis Rozange s’était fait
connaître par son site Lafactory.com. On y apprenait qu’Ubi Soft
l’avait menacé
de procès pour un article relatant ses difficultés
à obtenir des produits en
test.
Chez PC
Jeux,
le pigiste aura la charge de la rubrique actualités (16 pages)
et un test de
jeu, soit un cinquième du magazine. Il s’investit
énormément dans son nouveau
travail, passant soirées et week-ends dans les locaux de la
rédaction. Le
lendemain de la diffusion de l’émission
télévisée du 4 juin, coup de
théâtre : Rozange apprend au téléphone - de
la part de son rédacteur en chef -
que sa collaboration est stoppée et que ses articles ne seront
pas publiés,
alors qu’ils étaient sur le point d’être
imprimés ! Des éditeurs de jeux
ont pris peur et ont menacé le groupe de presse de retirer tous
leurs budgets
publicitaires. Le journaliste est sacrifié sur l’autel des
billets verts.
Et comme il n’y a pas de petits profits, on lui expliquera qu’il
ne sera
pas payé.
Des
articles ironiques
Le journaliste effectue un dépôt de ses articles afin de
les
protéger et contacte notre
rédaction. Dans Virus 3,
nous
publions des extraits des articles refusés. En fait, il n’y
avait pas de quoi
fouetter un chat, les textes sont plutôt gentils, souvent
drôles et ironiques :
par exemple, « The Dark Project
est le meilleur espoir
de l’année 1997. On
allume un cierge ? » ou «
Un clone de Command
& Conquer
, un
clone de Warcraft 2
, un clone de... Au secours ! Moins les
éditeurs font
preuves d’imagination, et plus les pauvres journalistes que nous sommes
devons
faire des efforts pour présenter un énième clone
de manière sensée et
originale. Epuisant. » On constate l’objectivité de
l’auteur lorsqu’on lit,
au sujet d’un produit de l’éditeur Ubi Soft qui le menace de
procès : «
Avec
ce jeu [...] que nous avons reçu en version bêta,
une nouvelle étape est
franchie qui devrait permettre à Warlords
de rencontrer
un plus large
public [...]
Les wargammers
exigeants suivront avec
intérêt notre
test de la version finale. » Bref, il semblerait que les
édi
teurs aient
plutôt agit sur la base de préjugés.
Surprise
! Le même jour,
PC Jeux sort en kiosque avec les
articles en
question, souvent édulcorés. Ainsi, à propos du
second épisode de
X-Com,
on aurait dû lire : « [il]
apportait peu de
nouveautés si ce n’est qu’il se
passait sous l’eau, qu’il y avait beaucoup de bleu et pas mal de bulles
d’air
». On lira à la place : «
dans un environnement
radicalement
différent : contexte sous-marin, richesse de décor
et niveau tactique bien
plus élaboré ». Le
summum de la langue
de bois est atteint lorsque «
ratage absolu » se
transforme en «
il
ravira à n’en pas douter les
possesseurs de petite configuration à base de 486 ».
La moitié des articles
subira le même sort.
En tournant les pages, on s’aperçoit que le nom de Francis
Rozange ne figure
nulle part, ni
dans les articles, ni dans l’ours (l’encart qui récapitule le
nom de tous les
collaborateurs d’un magazine). Pour le test de
Dungeon Keeper,
c’est la
signature d’un tiers qui apparaît ! Après plusieurs
mois de menaces
judiciaires, le pigiste reçoit enfin sa paye, mais il estime son
travail
dévalorisé et porte l’affaire devant les tribunaux.
Au
tribunal...
A l’époque, le
personnel d’Edicorp n’avait pas souhaité répondre
à nos questions. On en
apprendra plus lors du procès. La société explique
qu’elle n’avait pas eu le
temps de tout réécrire elle-même, que les
modifications étaient nécessaires
pour éviter des procès et la perte des annonceurs (!)
car, selon elle, les
propos allaient parfois au-delà de la liberté
d’expression. Elle demandera même
réparation pour les « menaces, insultes et actes de
dénigrement » commis
notamment sur Lafactory.com où le journaliste racontait ses
mésaventures. Ces
arguments seront tous rejetés, le 20 septembre dernier, par la
Première Chambre
du Tribunal de Grande Instance de Nanterre. Au vu des
éléments présentés, les
juges estiment que les éditions Edicorp avaient bien
porté atteinte au droit
moral et au droit au respect de l’œuvre de Monsieur Rozange.
Les
modifications
apportées aux articles sont trop profondes, l’avis du
journaliste était requis.
Certes, le tribunal admet que quelques phrases auraient pu être
censurées,
toujours avec l’autorisation de l’auteur, et précise que leur
caractère
ironique ou leur bon goût doit s’apprécier dans ce type de
publication. Enfin,
le tribunal ajoute : «
la simple expression d’une opinion
différente de celle
ensuite manifestée par d’autres
magazines ou un jury de jeux vidéos [n’est] pas en soi constitutive
d’une faute ». En effet, pour sa
défense, PC Jeux avait apporté des copies
d’articles réalisés par ses
propres concurrents ! Or eux aussi ont des annonceurs...
Epilogue
PC Jeux existe
toujours
(36 000 exemplaires vendus, source : OJD), contrairement
à de
nombreuses publications Edicorp rapidement suspendues. Imré
Antal a quitté ses
fonctions dans le groupe depuis plusieurs mois. Francis Rozange est
désormais
pigiste pour de nombreuses publications :
PC Expert,
Libération,
PC Team,
Virus, etc.
* Habituellement,
un journaliste-pigiste ne dépend pas d’une rédaction en
particulier. Il est libre de passer d’une publication à une
autre sans la
moindre formalité (il n’y a pas de contrat écrit). Il
n’est pas tenu à un
nombre d’heures de travail, seul compte le nombre de pages
réalisées. A moins
de cumuler suffisamment d’ancienneté, sa collaboration peut
être arrêtée du
jour au lendemain. Ce statut pourrait faire rêver les supporters
d’un
libéralisme à outrance, il est néanmoins
solidement défini par le Code du
travail et la jurisprudence. Ainsi, le pigiste est
considéré comme les autres
salariés, il bénéficie d’une fiche de paye.
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