«
Depuis
quelques temps, je lis dans
la presse informatique, divers articles signés d’une personne qui se
définit comme journaliste d’investigation et réalisatrice TV,
Spécialiste des enquêtes longues en milieux d’accès difficile et auteur
d’une enquête "Auteurs de virus, entreprises, éditeurs d’antivirus :
Les liaisons dangereuses".
Il est vrai que cette personne peut
parler d’un sujet qu’elle ne peut que bien connaitre et qu’elle n’a pas
du avoir beaucoup de difficultés à pénétrer ce "milieu soit disant
difficile".
Je pense qu’elle aurait du jouer la
clarté dans l’énoncé de ses qualités et préciser qu’elle est la
belle-soeur d’un éditeur d’anti-virus qui figure que rarement dans le
peloton des meilleurs et la soeur du rédacteur en chef d’un mensuel
d’informatique.
Il est encore plus dommage que
certaines associations ou administrations acréditent les dires de cette
personne. »
L’auteur vise de toute évidence
Danielle
Kaminsky, bien qu’il n’ait pas
écrit son nom. Intrigué par ce message, je contacte Danielle Kaminsky
(à cette époque, nos magazines n’ont encore publié aucun texte d’elle)
qui m’informe que d’autres personnes lui ont signalé avoir reçu ce
courriel et qu’elle a décidé de prendre contact avec son auteur - ce
que lui n’avait pas fait - pour obtenir une explication. L’auteur du
courriel lui donne rendez-vous le 16 juin 1999 en marge de la
conférence de presse d’
Alphasys,
un distributeur d’antivirus, à
laquelle il participe aux côtés des organisateurs, pour présenter
l’antivirus Kaspersky. Danielle Kaminsky me demande d’assister à
l’entretien, en observateur. Que reproche-t-il à l’
étude du
CLUSIF sur
les auteurs de virus ? L’auteur du courriel avoue alors qu’il n’a
pas
lu cette étude, déclare qu’il en veut en réalité à Marc Dotan (p-.d.g.
de
Tegam International) sans arriver à expliquer pourquoi, dit qu’il a
fait fausse route en s’en prenant à Danielle Kaminsky et présente
immédiatement, par écrit, ses excuses à la journaliste. Il promet de
s’excuser également auprès de tous les destinataires de son courriel.
Danielle Kaminsky précise au cours de l’entretien qu’elle n’est pas la
s½ur d’un rédacteur en chef de mensuel informatique, contrairement
à ce qu’a affirmé l’auteur du courrier. Elle s’inquiète
que le monsieur se montre capable de diffuser de tels écrits et de
fausses informations, surtout vu le métier qu’il exerce à l’époque.
Puis, questionné sur son action de promotion commerciale en faveur d’un
antivirus alors qu’il est fonctionnaire, l’homme explique qu’il va
prochainement démissionner pour aller travailler chez un distributeur
d’antivirus.
Un peu plus tard, on le retrouve en effet chez Informatique
Développement (ID), distributeur français de Data-fellows (devenu
F-Secure par la suite), et maison mère d’Alphasys. L’homme m’assure
n’avoir jamais travaillé en direct pour Alphasys. Pourtant, on trouve
plusieurs messages électroniques avec dans sa signature à la fois un
lien vers www.id-soft.com (ID) et un autre vers www.avp-fr.com
(Alphasys). Notons que les éditeurs F-Secure et Kaspersky travaillent
main dans la main, le premier utilisant les signatures de virus du
second.
Un soupçon d’antisémitisme
A deux reprises, par téléphone en novembre 2001 et place de la Bastille
à Paris en août 2005, j’aurai l’occasion de m’entretenir avec un des «
responsables » chez Alphasys pour qu’il m’éclaire. Je demande à ce
cadre pourquoi des internautes citant Alphasys s’en prennent à Tegam et
à mes magazines sur les forums de discussion. A deux reprises, sa
réponse sera la même :
«
Ces gens-là possèdent tous les
médias.
- Qui possède qui ?
- La famille Dotan [Tegam]
possède un groupe de presse à Montreuil.
- Vous me citez une famille et un
groupe de presse, mais vous ne répondez pas à ma question : qui sont
ces gens qui possèdent tous les médias ?
- [silence] »
Mon interlocuteur ayant prétendu juste avant que Tegam n’est pas une
société française mais israélienne, la teneur de ses divers propos ne
manque pas de rappeler la thèse du grand complot juif détenant tous
les médias. J’avais déjà entendu ce type d’insinuations dans la bouche
de l’auteur du courriel de mai 1999. Et, coïncidence : en guise de
réponse à des propos techniques de ma part, un internaute sorti d’on ne
sait où me suspecte dans les forums de discussion d’être «
voisins de
tapis à la mosquée [avec Tegam] » et un autre prétend «
juste par
solidarité envers son concepteur qui est de même confession, il va te
sortir un pseudo AV qui détecte tous les virus présents et à venir sans
mise à jour ».
J’explique à mon interlocuteur d’Alphasys qu’ils se trompent, lui et
ceux qui répètent ces mensonges. Il objecte alors que j’ai publié
quelques textes de Danielle Kaminsky ces derniers mois. Peu importe à
ses yeux qu’elle est publiée dans d’autres médias, qu’elle ne fasse pas
partie du personnel de ma société et qu’elle a usé de la même
possibilité donnée à tous les lecteurs d’envoyer des textes. Peu
importe aussi que ses articles ne traitent pas des virus. D’un ton
autoritaire, pour ne pas dire menaçant, il ajoute : «
ne donnez plus la parole à cette personne !
».
Il me dit ensuite qu’il n’a pas digéré, entre autre, que son concurrent
Tegam équipe en antivirus les PC du Ministère de la Justice, un vaste
marché qu’il convoitait également. Visiblement très remonté, il
m’explique qu’il veut «
la mort de
Tegam ».
ID et Alphasys dans la tourmente :
abus de biens sociaux
En 2001, sous la signature Roland Garcia, un message public aborde la
santé économique de Tegam : en 2000, son chiffre d’affaires a baissé de
27 %. C’est certes beaucoup, mais la situation reste saine. Les
attaques publiques contre Tegam se multiplient, les regards se
focalisent dessus, au point que personne ne s’intéresse à la situation
bien plus difficile des concurrents ID et Alphasys.
En 1995, Jean-Marc Jacquemin, président du conseil d’administration
d’ID, signe en son nom personnel une promesse de vente immobilière. Il
verse 160 000 F (24 391,84 ¤) avec un chèque tiré sur le compte
bancaire de la société. Cette écriture comptable sera enregistrée en
tant qu’« avance fournisseur ». Un autre chèque de 14 000 F (2 134,29
¤) servira de caution. Jusqu’au 31 octobre 1998, ID supporte aussi le
loyer personnel de son dirigeant, soit 7 000 F (1067,14 ¤) par mois.
Puis jusqu’au 31 mars 2000, ID versera un loyer mensuel de 9 500 F (1
484,47 ¤) à la société civile immobilière Magellan, dans laquelle M.
Jacquemin était associé et qui avait été créée pour acquérir sa
résidence principale.
La situation d’ID est pourtant catastrophique. Dès 1995, la société est
déjà confrontée à une société de
factoring.
Mais grâce au soutien de
son principal fournisseur, Data Fellows (à qui elle doit plus de 1,6
million de francs, soit plus de 244 000 ¤ !), la société arrive à
tenir. Fin 1997, la société
est dans l’incapacité virtuelle de faire face au passif exigible. En
1999, la société F-Secure (ex-Data Fellows) décide de couvrir le marché
français elle-même. Son ancien distributeur va se voir privé de 90 %
de son chiffre d’affaires. Les pertes s’envolent. 228 057 F (34 767,07
¤) pour l’exercice 1998-1999. Puis 1 584 586 F (241 568,58 ¤) pour
l’exercice clos au 31 mars 2000. Les fonds propres sont devenus
négatifs. La cessation de paiement aurait dû avoir lieu en novembre
1999. M. Jacquemin est conscient de la situation mais ne la déclare
pas, continuant de tirer un intérêt personnel : son loyer et 3 500
F (533,57 ¤) d’avantage en nature par mois. Les salariés, qui ne sont
pas licenciés, profitent également de la situation. La société ne paye
plus ses fournisseurs, ni l’URSSAF. Sur assignation de cette dernière,
ID fait l’objet d’une liquidation le 4 décembre 2000. Au total,
l’insuffisance d’actif est évaluée à environ 10 millions de francs (1,5
million d’euros) !
Une fausse facture de plus d’un million
Entre temps, la filiale Alphasys est chargée, paraît-il, de chercher de
nouveaux produits à commercialiser. Son chiffre d’affaires étant nul
(!), Alphasys est dans une situation débitrice. Elle a une dette envers
sa maison mère constituée de 85 442,80 ¤ d’avances en compte courant et
de 99 681,99 ¤ de frais de constitutions. Alphasys réalise un tour de
passe-passe, le 31 mars 1999, avec l’émission d’une facture injustifiée
de 1,4 million de francs (214 373 ¤) à l’ordre d’ID. Tandis que cette
dernière se retrouve indûment appauvrie, Alphasys retrouve une
apparence faussement saine. Ce qui facilitera sa cession le 24 novembre
2000 à la société danoise Venture 2000 (les parts seront ensuite
reprises par les sociétés
Eurotrust et Firstream).
Comble de malchance, Venture 2000 devra, plus tard, rembourser 800 000
F (121 959,21 ¤) au
liquidateur judiciaire de la société ID, mais aussi rembourser en
partie Eurotrust.
Malgré la cession, Jean-Marc Jacquemin reste proche du dossier. Entre
avril 2000 et novembre 2000, retour d’ascenseur : Alphasys fait des
avances de trésorerie à ID ou paye ses salariés et fournisseurs, pour
un montant total de 167 703,42 ¤. Ces avances seront partiellement
soldées par compensation de compte le 30 septembre 2000 pour 82 734,08
¤, puis par divers règlements entre le 16 et le 19 octobre pour 43
252,54 ¤... alors qu’ID était en cessation de paiement ! Le dirigeant
continue de vider cette société. A la même période, il vend la
participation de cette dernière dans la SARL Caluna, en réalisant une
moins-value comptable.
D’autres opérations douteuses
Jean-Marc Jacquemin est condamné par le
tribunal
correctionnel de
Meaux, le 12 novembre 2003, à 18 mois de prison avec sursis et une
faillite personnelle à titre complémentaire pour abus de biens ou du
crédit d’une société par actions par un dirigeant à des fins
personnelles, ainsi que pour banqueroute, détournement ou dissimulation
de tout ou partie de l’actif. En outre, il doit rembourser au
liquidateur d’ID la somme de 283 626,69 ¤ plus 1 200 ¤ de frais de
justice.
Ce n’est pas fini ! Le
8
novembre 2004, le tribunal de commerce de
Meaux condamne aussi Jean-Marc Jacquemin à un comblement de passif
à
hauteur de 152 449,01 ¤, prononce une faillite personnelle de 15 ans,
sans oublier 2 500 ¤ de frais de justice. L’appel en décembre 2005 ne
changera rien, si ce n’est que sa femme sera mise hors de cause.
Ce n’est qu’un épisode de la vie mouvementée d’Alphasys, nous aurions
pu en aborder d’autres mettant en scène d’autres acteurs. Nous aurions
pu parler d’un logiciel dont les droits d’édition seront achetés à prix
d’or mais qui au final ne sera jamais édité, de factures astronomiques
d’hébergement Internet (1 000 ¤ par mois) pour un site minuscule, etc.
Qui en a profité et pourquoi ? Insistons sur le fait que les
employés et dirigeants successifs d’Alphasys ne sont, heureusement, pas
tous concernés par les faits décrits ici ! Au fait, Alphasys, cela ne
vous rappelle rien ? Nous avions déjà évoqué cette société quand nous
avions parlé de M.
Roland
Garcia.
Rendez-vous avec un auteur-diffuseur
de virus
Depuis le départ, il apparaît curieux que le courriel visant Danielle
Kaminsky ait été envoyé en mai 1999, presque un an après la
présentation de l’étude du
CLUSIF.
Mais à la lumière des problèmes que
connaissent ID et Alphasys à la même époque, cette date ne paraît plus
si anodine. En mai 1999, F-Secure vient de créer son antenne en France.
ID en perd la distribution, ce qui va la priver de 90 % de son chiffre
d’affaires. Le gouffre financier se creuse. Non loin de là, la société
Tegam se porte quant à elle plutôt bien. En faut-il davantage pour
déclencher la rage du concurrent ?
Autre fait troublant, qui se déroule peu avant.
Lors de ma conversation avec mon interlocuteur de chez Alphasys, après
qu’il m’a dit vouloir la mort de Tegam, il me parle (pourquoi ?) d’un
rendez-vous qu’il a eu avec...
Spanska,
l’auteur de virus à qui est
attribué
Happy 99, apparu
début 1999. Le rendez-vous s’est tenu juste
avant le départ de celui-ci aux Etats-Unis, en présence d’un autre
professionnel de la sécurité, un Belge. Ce dernier me l’a confirmé,
ainsi
qu’une connaissance de Spanska à qui l’auteur-diffuseur de virus en
avait parlé. Quel était l’objet de ce rendez-vous ? A quoi servait
cette rencontre ? Aucun des intéressés n’a souhaité l’expliquer lorsque
je leur ai posé la question.
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