Un responsable chez Alphasys voulait
la mort de Tegam


En mai 1999, la rédaction d’ACBM reçoit le courriel suivant :

« Depuis quelques temps, je lis dans la presse informatique, divers articles signés d’une personne qui se définit comme journaliste d’investigation et réalisatrice TV, Spécialiste des enquêtes longues en milieux d’accès difficile et auteur d’une enquête "Auteurs de virus, entreprises, éditeurs d’antivirus : Les liaisons dangereuses".

Il est vrai que cette personne peut parler d’un sujet qu’elle ne peut que bien connaitre et qu’elle n’a pas du avoir beaucoup de difficultés à pénétrer ce "milieu soit disant difficile".

Je pense qu’elle aurait du jouer la clarté dans l’énoncé de ses qualités et préciser qu’elle est la belle-soeur d’un éditeur d’anti-virus qui figure que rarement dans le peloton des meilleurs et la soeur du rédacteur en chef d’un mensuel d’informatique.

Il est encore plus dommage que certaines associations ou administrations acréditent les dires de cette personne. »

L’auteur vise de toute évidence Danielle Kaminsky, bien qu’il n’ait pas écrit son nom. Intrigué par ce message, je contacte Danielle Kaminsky (à cette époque, nos magazines n’ont encore publié aucun texte d’elle) qui m’informe que d’autres personnes lui ont signalé avoir reçu ce courriel et qu’elle a décidé de prendre contact avec son auteur - ce que lui n’avait pas fait - pour obtenir une explication. L’auteur du courriel lui donne rendez-vous le 16 juin 1999 en marge de la conférence de presse d’Alphasys, un distributeur d’antivirus, à laquelle il participe aux côtés des organisateurs, pour présenter l’antivirus Kaspersky. Danielle Kaminsky me demande d’assister à l’entretien, en observateur. Que reproche-t-il à l’étude du CLUSIF sur les auteurs de virus ? L’auteur du courriel avoue alors qu’il n’a pas lu cette étude, déclare qu’il en veut en réalité à Marc Dotan (p-.d.g. de Tegam International) sans arriver à expliquer pourquoi, dit qu’il a fait fausse route en s’en prenant à Danielle Kaminsky et présente immédiatement, par écrit, ses excuses à la journaliste. Il promet de s’excuser également auprès de tous les destinataires de son courriel. Danielle Kaminsky précise au cours de l’entretien qu’elle n’est pas la s½ur d’un rédacteur en chef de mensuel informatique, contrairement à ce qu’a affirmé l’auteur du courrier. Elle s’inquiète que le monsieur se montre capable de diffuser de tels écrits et de fausses informations, surtout vu le métier qu’il exerce à l’époque. Puis, questionné sur son action de promotion commerciale en faveur d’un antivirus alors qu’il est fonctionnaire, l’homme explique qu’il va prochainement démissionner pour aller travailler chez un distributeur d’antivirus.
Un peu plus tard, on le retrouve en effet chez Informatique Développement (ID), distributeur français de Data-fellows (devenu F-Secure par la suite), et maison mère d’Alphasys. L’homme m’assure n’avoir jamais travaillé en direct pour Alphasys. Pourtant, on trouve plusieurs messages électroniques avec dans sa signature à la fois un lien vers www.id-soft.com (ID) et un autre vers www.avp-fr.com (Alphasys). Notons que les éditeurs F-Secure et Kaspersky travaillent main dans la main, le premier utilisant les signatures de virus du second.

Un soupçon d’antisémitisme
A deux reprises, par téléphone en novembre 2001 et place de la Bastille à Paris en août 2005, j’aurai l’occasion de m’entretenir avec un des « responsables » chez Alphasys pour qu’il m’éclaire. Je demande à ce cadre pourquoi des internautes citant Alphasys s’en prennent à Tegam et à mes magazines sur les forums de discussion. A deux reprises, sa réponse sera la même :
« Ces gens-là possèdent tous les médias.
- Qui possède qui ?
- La famille Dotan [Tegam] possède un groupe de presse à Montreuil.
- Vous me citez une famille et un groupe de presse, mais vous ne répondez pas à ma question : qui sont ces gens qui possèdent tous les médias ?
- [silence] »
Mon interlocuteur ayant prétendu juste avant que Tegam n’est pas une société française mais israélienne, la teneur de ses divers propos ne manque pas de rappeler la thèse du grand complot juif détenant tous les médias. J’avais déjà entendu ce type d’insinuations dans la bouche de l’auteur du courriel de mai 1999. Et, coïncidence : en guise de réponse à des propos techniques de ma part, un internaute sorti d’on ne sait où me suspecte dans les forums de discussion d’être « voisins de tapis à la mosquée [avec Tegam] » et un autre prétend « juste par solidarité envers son concepteur qui est de même confession, il va te sortir un pseudo AV qui détecte tous les virus présents et à venir sans mise à jour ».
J’explique à mon interlocuteur d’Alphasys qu’ils se trompent, lui et ceux qui répètent ces mensonges. Il objecte alors que j’ai publié quelques textes de Danielle Kaminsky ces derniers mois. Peu importe à ses yeux qu’elle est publiée dans d’autres médias, qu’elle ne fasse pas partie du personnel de ma société et qu’elle a usé de la même possibilité donnée à tous les lecteurs d’envoyer des textes. Peu importe aussi que ses articles ne traitent pas des virus. D’un ton autoritaire, pour ne pas dire menaçant, il ajoute : « ne donnez plus la parole à cette personne ! ».
Il me dit ensuite qu’il n’a pas digéré, entre autre, que son concurrent Tegam équipe en antivirus les PC du Ministère de la Justice, un vaste marché qu’il convoitait également. Visiblement très remonté, il m’explique qu’il veut « la mort de Tegam ».

ID et Alphasys dans la tourmente : abus de biens sociaux
En 2001, sous la signature Roland Garcia, un message public aborde la santé économique de Tegam : en 2000, son chiffre d’affaires a baissé de 27 %. C’est certes beaucoup, mais la situation reste saine. Les attaques publiques contre Tegam se multiplient, les regards se focalisent dessus, au point que personne ne s’intéresse à la situation bien plus difficile des concurrents ID et Alphasys.
En 1995, Jean-Marc Jacquemin, président du conseil d’administration d’ID, signe en son nom personnel une promesse de vente immobilière. Il verse 160 000 F (24 391,84 ¤) avec un chèque tiré sur le compte bancaire de la société. Cette écriture comptable sera enregistrée en tant qu’« avance fournisseur ». Un autre chèque de 14 000 F (2 134,29 ¤) servira de caution. Jusqu’au 31 octobre 1998, ID supporte aussi le loyer personnel de son dirigeant, soit 7 000 F (1067,14 ¤) par mois. Puis jusqu’au 31 mars 2000, ID versera un loyer mensuel de 9 500 F (1 484,47 ¤) à la société civile immobilière Magellan, dans laquelle M. Jacquemin était associé et qui avait été créée pour acquérir sa résidence principale.
La situation d’ID est pourtant catastrophique. Dès 1995, la société est déjà confrontée à une société de factoring. Mais grâce au soutien de son principal fournisseur, Data Fellows (à qui elle doit plus de 1,6 million de francs, soit plus de 244 000 ¤ !), la société arrive à tenir. Fin 1997, la société est dans l’incapacité virtuelle de faire face au passif exigible. En 1999, la société F-Secure (ex-Data Fellows) décide de couvrir le marché français elle-même. Son ancien distributeur va se voir privé de 90 % de son chiffre d’affaires. Les pertes s’envolent. 228 057 F (34 767,07 ¤) pour l’exercice 1998-1999. Puis 1 584 586 F (241 568,58 ¤) pour l’exercice clos au 31 mars 2000. Les fonds propres sont devenus négatifs. La cessation de paiement aurait dû avoir lieu en novembre 1999. M. Jacquemin est conscient de la situation mais ne la déclare pas, continuant de tirer un intérêt personnel : son loyer et 3 500 F (533,57 ¤) d’avantage en nature par mois. Les salariés, qui ne sont pas licenciés, profitent également de la situation. La société ne paye plus ses fournisseurs, ni l’URSSAF. Sur assignation de cette dernière, ID fait l’objet d’une liquidation le 4 décembre 2000. Au total, l’insuffisance d’actif est évaluée à environ 10 millions de francs (1,5 million d’euros) !

Une fausse facture de plus d’un million
Entre temps, la filiale Alphasys est chargée, paraît-il, de chercher de nouveaux produits à commercialiser. Son chiffre d’affaires étant nul (!), Alphasys est dans une situation débitrice. Elle a une dette envers sa maison mère constituée de 85 442,80 ¤ d’avances en compte courant et de 99 681,99 ¤ de frais de constitutions. Alphasys réalise un tour de passe-passe, le 31 mars 1999, avec l’émission d’une facture injustifiée de 1,4 million de francs (214 373 ¤) à l’ordre d’ID. Tandis que cette dernière se retrouve indûment appauvrie, Alphasys retrouve une apparence faussement saine. Ce qui facilitera sa cession le 24 novembre 2000 à la société danoise Venture 2000 (les parts seront ensuite reprises par les sociétés Eurotrust et Firstream). Comble de malchance, Venture 2000 devra, plus tard, rembourser 800 000 F (121 959,21 ¤) au liquidateur judiciaire de la société ID, mais aussi rembourser en partie Eurotrust.
Malgré la cession, Jean-Marc Jacquemin reste proche du dossier. Entre avril 2000 et novembre 2000, retour d’ascenseur : Alphasys fait des avances de trésorerie à ID ou paye ses salariés et fournisseurs, pour un montant total de 167 703,42 ¤. Ces avances seront partiellement soldées par compensation de compte le 30 septembre 2000 pour 82 734,08 ¤, puis par divers règlements entre le 16 et le 19 octobre pour 43 252,54 ¤... alors qu’ID était en cessation de paiement ! Le dirigeant continue de vider cette société. A la même période, il vend la participation de cette dernière dans la SARL Caluna, en réalisant une moins-value comptable.

D’autres opérations douteuses
Jean-Marc Jacquemin est condamné par le tribunal correctionnel de Meaux, le 12 novembre 2003, à 18 mois de prison avec sursis et une faillite personnelle à titre complémentaire pour abus de biens ou du crédit d’une société par actions par un dirigeant à des fins personnelles, ainsi que pour banqueroute, détournement ou dissimulation de tout ou partie de l’actif. En outre, il doit rembourser au liquidateur d’ID la somme de 283 626,69 ¤ plus 1 200 ¤ de frais de justice.
Ce n’est pas fini ! Le 8 novembre 2004, le tribunal de commerce de Meaux condamne aussi Jean-Marc Jacquemin à un comblement de passif à hauteur de 152 449,01 ¤, prononce une faillite personnelle de 15 ans, sans oublier 2 500 ¤ de frais de justice. L’appel en décembre 2005 ne changera rien, si ce n’est que sa femme sera mise hors de cause.
Ce n’est qu’un épisode de la vie mouvementée d’Alphasys, nous aurions pu en aborder d’autres mettant en scène d’autres acteurs. Nous aurions pu parler d’un logiciel dont les droits d’édition seront achetés à prix d’or mais qui au final ne sera jamais édité, de factures astronomiques d’hébergement Internet (1 000 ¤ par mois) pour un site minuscule, etc. Qui en a profité et pourquoi ? Insistons sur le fait que les employés et dirigeants successifs d’Alphasys ne sont, heureusement, pas tous concernés par les faits décrits ici ! Au fait, Alphasys, cela ne vous rappelle rien ? Nous avions déjà évoqué cette société quand nous avions parlé de M. Roland Garcia.

Rendez-vous avec un auteur-diffuseur de virus
Depuis le départ, il apparaît curieux que le courriel visant Danielle Kaminsky ait été envoyé en mai 1999, presque un an après la présentation de l’étude du CLUSIF. Mais à la lumière des problèmes que connaissent ID et Alphasys à la même époque, cette date ne paraît plus si anodine. En mai 1999, F-Secure vient de créer son antenne en France. ID en perd la distribution, ce qui va la priver de 90 % de son chiffre d’affaires. Le gouffre financier se creuse. Non loin de là, la société Tegam se porte quant à elle plutôt bien. En faut-il davantage pour déclencher la rage du concurrent ?
Autre fait troublant, qui se déroule peu avant.
Lors de ma conversation avec mon interlocuteur de chez Alphasys, après qu’il m’a dit vouloir la mort de Tegam, il me parle (pourquoi ?) d’un rendez-vous qu’il a eu avec... Spanska, l’auteur de virus à qui est attribué Happy 99, apparu début 1999. Le rendez-vous s’est tenu juste avant le départ de celui-ci aux Etats-Unis, en présence d’un autre professionnel de la sécurité, un Belge. Ce dernier me l’a confirmé, ainsi qu’une connaissance de Spanska à qui l’auteur-diffuseur de virus en avait parlé. Quel était l’objet de ce rendez-vous ? A quoi servait cette rencontre ? Aucun des intéressés n’a souhaité l’expliquer lorsque je leur ai posé la question.

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